
Historien francophone israélien, spécialiste de la France, des origines du fascisme, de la crise des Lumières et d’Israël, Zeev Sternhell a largement renouvelé l’histoire des idées, en particulier de la droite française. Même si, pour un certain nombre d’historiens (comme Enzo Traverso), l’histoire des idées est considérée comme une fraction un peu démodée de leur discipline.
L’apport de Sternhell résulte de sa remise en cause, dès les années 1960, des trois grandes familles de droite françaises qu’avait définies René Rémond en 1954 dans les Droites en France. Pour cet historien chrétien et mandarin de Sciences Po durant des décennies, la droite française ne peut être que légitimiste (contre-révolutionnaire), césarienne (du bonapartisme au gaullisme) ou bien orléaniste (regroupant les libéraux, d’Antoine Pinay à Giscard ou Balladur). Après une thèse à Sciences Po – dont le jury est présidé par René Rémond –, Zeev Sternhell publie un livre qui crée la controverse durant plusieurs décennies. Ni droite ni gauche montre qu’il y a eu un fascisme français qui s’est évidemment déchaîné sous l’Occupation, mais, plus encore, que le nationalisme ( « intégral » ) français, né avec Barrès et Maurras (avant Déat ou Doriot, puis l’OAS, voire Le Pen), constituerait l’acte de naissance de l’idéologie fasciste. Rompant là avec le mythe très répandu d’une prétendue « immunité française » au fascisme.
Né en Pologne en 1935, enfant juif rescapé de la Shoah, arrivé en France à la Libération chez une tante avignonnaise, il a parfaitement conscience de l’antisémitisme qui règne en Europe et s’enthousiasme vite pour la création de l’État d’Israël, où il émigre à 16 ans, en 1951. Mais sa culture française le fait revenir étudier à Sciences Po dans les années 1960. Où, dans le climat réactionnaire de l’école, il entreprend de travailler sur Barrès.
Plus tard, Sternhell rattachera cette tradition de « la droite révolutionnaire » – titre d’un autre de ses livres 1 – au courant des « anti-Lumières » qui n’ont cessé de combattre les droits de l’homme et l’héritage de la Révolution française. Sioniste de gauche, il participe aux guerres de 1967 et de 1973, mais ne cesse de critiquer la politique de colonisation d’Israël à partir de 1967, « le plus grand désastre de l’histoire du sionisme » selon lui, et le traitement réservé aux Palestiniens. Ce livre d’entretiens est aussi une leçon de vie. (...)
Zeev Sternhell : Quand je suis arrivé en Israël, en février 1951, j’étais bercé par beaucoup de mythes. Parmi ces mythes – il m’a fallu quarante ans pour comprendre que c’en était un –, il y avait la volonté d’instaurer le socialisme en Israël. Je rêvais de voir naître un pouvoir ouvrier, et j’ignorais que, à sa place, c’était le pouvoir de la bureaucratie qui s’installait. Nous étions nombreux à vouloir construire un pays laïc, ancré à gauche, capable de réduire les inégalités sociales. Ces espérances, évidemment, n’ont pas été réalisées. Sans doute attendais-je trop de cette entreprise. J’étais peut-être naïf – je n’avais pas encore 16 ans. Mais l’âge n’était pas seul en jeu ; car, dix ou vingt ans plus tard, j’étais encore attaché à ce rêve alors même que les conséquences de la guerre des Six Jours et de celle du Kippour avaient ébranlé beaucoup de certitudes dans mon esprit. Mais je dois le reconnaître : ce à quoi j’aspirais en 1951, 1961 ou 1971, non, cela ne s’est pas réalisé. (...)
Lire aussi :
– Hommage.L’historien israélien Zeev Sternhell, “oracle de l’antifascisme”, est mort
Le quotidien Ha’Aretz revient sur le parcours de Zeev Sternhell, décédé ce 21 juin. L’historien fut “l’un des plus importants universitaires sur la question du fascisme”, mais aussi un fervent critique du risque de glissement de la société israélienne vers le fascisme. (...)
– Sionisme, immigration et intégration - Entretien avec Zeev Sternhell
Le sionisme, idéologie officielle de l’état d’Israël, joue-t-il aujourd’hui le même rôle qu’à l’époque des « pères fondateurs » ? Ou bien s’est-il transformé au fil des décennies, s’adaptant aux mutations de la société israélienne à mesure qu’arrivaient de nouvelles vagues d’immigrés et que s’enlisait le conflit palestinien ? Pour prendre la mesure de ces évolutions, nous sommes allés à la rencontre de Zeev Sternhell, historien de renom international et acteur engagé de la vie publique israélienne. (...)