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Vacances aux Bahamas, chômage mieux rémunéré que le travail : des agents Pôle emploi répondent aux clichés
Article mis en ligne le 3 décembre 2019
dernière modification le 2 décembre 2019

Comme pour l’actuelle réforme des retraites, le gouvernement a tenté de justifier sa réforme de l’assurance chômage par une série d’idées reçues allègrement relayées par certains médias. Mais dans la réalité, la plupart des chômeurs galèrent.

« Quand vous êtes salarié et que vous voyez certaines personnes qui partent en vacances aux Bahamas grâce à l’assurance chômage, il est légitime de se dire que ce système marche sur la tête ! », Damien Adam, député LREM de Seine-Maritime, novembre 2018.

Voilà le genre de petites phrases qui ont été répétées depuis plus d’un an au fil des mois et des interviews. Elles visent à rendre acceptable le durcissement généralisé et sans précédent des conditions d’indemnisation du chômage que prévoit la réforme entrée en vigueur le 1er novembre. La réalité est évidemment bien différente de l’imaginaire d’île paradisiaque sorti de la tête d’un député de La République en marche.

Aurélie, agente de Pôle emploi depuis dix ans, répond au député et à tous ceux qui pensent qu’une bonne partie des chômeurs sont finalement contents de leur sort : « Ah ! le fameux chômeur qui part se la couler douce aux Bahamas…. Je pense qu’il doit y avoir là-bas des plages où l’on ne trouve que des chômeurs français. D’ailleurs, on devrait peut-être aller y mener nos entretiens. Cela nous changerait des face à face dans nos bureaux, avec des personnes qui vont souvent assez mal », dit-elle avec ironie.

Les faits ? Sur 6,3 millions de demandeurs d’emplois, 2,6 millions sont indemnisés aujourd’hui. Soit un peu moins de 40 %. Le montant moyen des indemnités perçues : environ 1000 euros par mois. Pas de quoi se payer des vacances de rêve, même low-cost au Bahamas ! La moitié des personnes indemnisées – c’est-à-dire 1,3 million de personnes – reçoivent moins de 860 euros par mois [1] Elles vivent donc sous le seuil de pauvreté.

Viennent ensuite les 400 000 personnes qui perçoivent l’allocation spécifique de solidarité (ASS), versée aux chômeurs en fin de droits, sous conditions de ressources. Elle s’élève à 494 euros par mois, et peut être coupée suite à un contrôle aléatoire (de plus en plus nombreux). Arrivent enfin ceux et celles qui ne touchent rien. En France, la moitié des demandeurs d’emploi n’ont aucune indemnité… « (...)

Plutôt désargentés, donc, les chômeurs sont en moins bonne santé que le reste de la population. (...)

Une étude de l’Inserm montre aussi que la condition de chômeur est associée à un risque de mortalité presque trois fois plus élevé par rapport à des personnes de même âge et de même sexe occupant un emploi.

« La réforme en cours ? Je crains que cela ne soit pas assez efficace car ce n’est pas assez violent », s’inquiétait l’éditorialiste Christophe Barbier, sur BFM TV, en juin 2019.

Entrée en vigueur ce 1er novembre, la réforme de l’assurance chômage risque pourtant d’assombrir encore le quotidien des demandeurs d’emploi. Pourquoi ? D’abord parce que le nombre de personnes indemnisées va brutalement chuter, passant de 2,6 millions à 1,3 million. Ensuite parce que, à compter du 1er avril 2020, le montant moyen des indemnités va dévisser (...)

« Derrière toutes ces réformes, il y a des conséquences humaines très graves, insiste Gaëlle Moreau, porte-parole de l’association AC ! Agir ensemble contre le chômage. Les gens ne peuvent plus payer leur loyer, ni leur facture d’énergie. Encore moins manger. On va bientôt pouvoir travailler un jour par mois et ne plus être considéré comme chômeur. Les gens n’arriveront pas à vivre. » Bien des agents de Pôle emploi appréhendent le printemps et l’obligation d’annoncer des indemnités ridicules à des personnes qui ont pourtant travaillé. Leur direction semble d’ailleurs partager leurs inquiétudes puisque, dans certaines agences, il est prévu de recruter des vigiles ! Mais tout cela n’est pas encore suffisamment violent pour l’éditorialiste parisien. (...)

« Pourquoi certaines offres d’emplois ne sont pas pourvues ?, interroge Erwan, également agent à Pôle emploi. On le sait très bien. Parfois, les employeurs laissent l’annonce, même s’ils ont trouvé quelqu’un. Soit par négligence, soit consciemment. Pour les boîtes d’intérim, cela fait un vivier à intérimaires…. Surtout, la plupart de ces annonces viennent de secteurs et métiers qui ne paient pas. Les rémunérations sont trop basses par rapport au niveau de qualification demandé. Ou bien les temps de travail sont hyper-fractionnés, et très courts. »

« Les chômeurs qui refusent un emploi sont rares, ajoute Aurélie. De plus en plus rares. Avec la pression sociale et celle de l’entourage, ce sera de plus en plus difficile de dire non. Ceux qui osent le faire sont sûrs d’eux, souvent qualifiés, et habitués à de bons salaires. »

Ajoutons que nombre d’annonces sont totalement fantaisistes, voire carrément illégales, comme l’a révélé l’an dernier le comité national des travailleurs privés d’emploi et précaires de la CGT. Mais proposer un maximum d’offres d’emploi, même inacceptables, permet d’affirmer que si les chômeurs ne trouvent pas de travail, c’est de leur faute... (...)

Selon l’Unédic, seulement 4 % des allocataires sont susceptibles d’avoir perçu une allocation supérieure à leur salaire [6]. Et quelle allocation : 290 euros par mois ! Alors qu’ils touchaient 220 euros en travaillant. Pourront-ils, s’ils savent développer leurs compétences d’épargnants, se payer un jour un billet d’avion pour les Bahamas ? Les moins chers, en ce moment, sont à 700 euros !