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Victime du 13-novembre, pourquoi j’irai manifester contre l’islamophobie
Christophe Naudin
Article mis en ligne le 7 novembre 2019

Oui, cette phrase n’est pas au conditionnel. Car, cette fois-ci, je ne poserai pas de conditions. Ce 10 novembre, trois jours donc avant les commémorations des attentats du 13-novembre 2015, j’irai manifester contre l’islamophobie, même si je suis loin de partager les opinions de nombre de signataires et d’initiateurs de l’appel.

Les chiffres sont à nouveau en hausse en 2018, et on peut parier que cela sera pire en 2019. Pas à cause des attentats qui ont continué (et avec eux les pseudo-analyses évoquées plus haut), mais à cause d’une triple complicité : les réseaux sociaux (enfin, ceux qui s’en servent pour alimenter leur propagande), les chaines infos, et les politiques, chacun se nourrissant l’un de l’autre.

Ces derniers mois se sont multipliées les polémiques, avec une violence de plus en plus intolérable, et un cynisme politique qu’on n’avait pas vu depuis très longtemps. Et cela a des conséquences concrètes. Comment ne pas faire le lien entre la polémique sur la mère accompagnatrice scolaire voilée, et l’attentat (même si la Justice ne l’a pas pour le moment qualifié de « terroriste ») contre la mosquée de Bayonne ? Et avant ça, l’attentat contre la Préfecture, un jour considéré comme « jihadiste », puis en fait non, alimentant sans fin la machine à haine. Peu importe en fait, ce que dit la Justice. Il suffit juste d’une étincelle, et Twitter s’enflamme. De toute façon, si les faits ne vont pas dans notre sens, c’est qu’on nous cache des choses, que c’est politiquement incorrect, ou qu’il y a « deux poids deux mesures ».

Ce que l’on voit et entend aujourd’hui sur les chaines infos, qui ont toujours une audience bien supérieure aux réseaux sociaux, est proprement hallucinant, et sans doute plus préoccupant encore. Sans même parler de la désinformation sur certains sujets, l’antenne est squattée par un mélange malsain de pseudo-experts, de polémistes, d’éditorialistes, qui ne débattent pas mais s’invectivent et donnent leur avis partisan sur tout et n’importe quoi. On est bien au-delà du café du commerce. Le format même des ces émissions interchangeables est fait pour le buzz et la polémique. Un animateur (ou une animatrice), difficile de les appeler journalistes, lance des « sujets » soi-disant d’actualité, et les invités se balancent quelques énormités, avant de passer au sujet suivant. Quand « l’affaire de l’accompagnatrice voilée » a explosé, cela a duré des semaines ! Sans même inviter une femme voilée…

C’est évidemment encore plus grave quand l’antenne est offerte quotidiennement à un type condamné plusieurs fois pour incitation à la haine raciale, sous couvert de liberté d’expression. Des arguments que d’autres, et parfois les mêmes, emploient pour légitimer le discours négationniste. Il y a un vrai basculement ces dernières années, et encore plus ces derniers mois, une fuite en avant et une « libération » de la parole raciste. Au-delà même des débats sur le terme « islamophobie », on assume aujourd’hui ouvertement, même en étant politique, journaliste ou intellectuel, qu’on peut se méfier d’une population, ou ne pas supporter un vêtement religieux, jusqu’à vouloir « changer de bus » comme certains s’en sont vantés. Là, on n’est plus dans la critique légitime de la religion, mais on s’attaque aux personnes. Et quand on a une voix publique, la responsabilité est énorme. (...)

Question responsabilité, que dire de celle des politiques, et en premier lieu du gouvernement ? La montée, en particulier en violence, des actes islamophobes est certainement due singulièrement au cynisme du Chef de l’État et de son gouvernement. Quand le Ministre de l’Education estime publiquement que « le voile n’est pas souhaitable dans notre société », il sait parfaitement à quoi et à qui il ouvre la porte. Même chose quand le Président de la République va se faire interviewer par un hebdomadaire d’extrême droite. Il est vrai que pendant qu’on parle sans fin du voile, des attentats réels ou supposés, ou même de l’islamophobie, on n’aborde pas la réforme de l’assurance chômage et des retraites, la crise profonde dans les hôpitaux et l’Éducation Nationale, le désastre environnemental,… (...)

quitte à une nouvelle fois me faire traiter de dhimmi, ou de souffrir du « syndrome du Bataclan », j’irai dire « Stop à l’islamophobie » le 10 novembre avant qu’il ne soit trop tard, tant la situation a atteint un niveau critique. Il faut une vraie réaction politique pour briser cette spirale, qui ne réussira qu’à satisfaire les extrêmes.

Puis, mercredi 13 novembre, j’irai me recueillir devant le Bataclan en hommage aux victimes et à mon ami Vincent.