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Mediapart
Vincent Bolloré lorgne « Le Figaro »
Article mis en ligne le 21 novembre 2021

Après avoir conquis Canal+, CNews, Europe 1, « Paris Match » ou encore « Le Journal du dimanche », Vincent Bolloré a engagé, d’après nos informations, des négociations pour prendre le contrôle du « Figaro ». Au risque de relancer les polémiques sur la concentration des médias au profit des puissances d’argent.

Dans le courant des années 1970, Robert Hersant, qui par le biais de la Socpresse contrôlait un immense empire de presse englobant Le Figaro, une multitude de quotidiens régionaux et des magazines, avait été baptisé par la gauche le « papivore », au motif que la liberté de la presse et son pluralisme étaient de plus en plus gravement menacés au fur et à mesure de ces incessantes acquisitions.

Ce sobriquet, c’est désormais celui dont on pourrait affubler Vincent Bolloré : l’empire de presse qu’il est en train de construire ne cesse de s’agrandir, faisant peser sur le droit de savoir des citoyens un danger considérable, d’autant qu’il l’arrime à la candidature d’extrême droite d’Éric Zemmour. La qualification apparaît d’autant plus appropriée que, par un surprenant clin de l’œil de l’histoire, le même Vincent Bolloré lorgne, d’après nos informations, un nouveau média, qui était précisément le navire amiral du groupe Hersant… Le Figaro !

Si les tractations secrètes qui ont lieu en ce moment entre Vincent Bolloré et la famille Dassault aboutissent, l’opération constituerait un nouveau séisme pour la presse française, car la boulimie de Vincent Bolloré, qui ne cesse de mettre la main sur de nouveaux médias, suscite des polémiques croissantes et a fini par relancer le débat en France sur la concentration des principaux journaux français entre les mains de quelques puissances d’argent. (...)

Si la famille Dassault envisage de se délester du Figaro, c’est d’abord parce que le groupe de presse lui coûte de plus en plus cher. Selon nos informations, Charles Edelstenne, qui est le directeur général du Groupe industriel Marcel Dassault (GIMD), la holding de tête qui coiffe toutes les entités du groupe, dont sa filiale Dassault Medias (créée lors du démembrement de la Socpresse), est très agacé par les déficits cumulés du quotidien et verrait d’un bon œil de s’en séparer.

Or c’est lui qui fait la pluie et le beau temps dans le groupe. (...)

On ne connaît certes pas l’ampleur précise des pertes du Figaro, car les puissances d’argent qui ont racheté les grands titres de la presse parisienne ont la détestable habitude de ne pas publier les comptes des titres concernés. C’est aussi le cas de Dassault Medias, dont on ne trouve pas les comptes annuels au greffe du tribunal de commerce de Paris. (...)

En 2015, le groupe de presse a ainsi fait l’acquisition pour près de 120 millions d’euros de la société CCM Benchmark, spécialisée dans l’édition de sites Internet, le marketing digital ou ce que l’on appelle la publicité programmatique. Or, à l’expérience, ces activités ne sont pas rentables.

Le Figaro a aussi eu l’idée passablement biscornue d’acheter une cascade de voyagistes en pensant que cela pourrait être une source de revenus complémentaire. En 2016, le groupe a ainsi fait l’acquisition des Maisons du voyage, qu’il a présentées dans ses propres colonnes de cette manière : « un tour-opérateur haut de gamme qui propose des séjours sur mesure et culturels, en Asie, en Amérique du Nord et du Sud, en Europe, en Afrique et Océanie ».

Puis, en 2017, rebelote. Le Figaro triomphe en annonçant l’acquisition d’un autre voyagiste (...)

Tous les hiérarques de la rédaction sont alors priés périodiquement de participer aux croisières maison pour tenir des conférences supposées distraire les riches retraités qui ont embarqué avec eux, sur l’un des navires de luxe de la Compagnie du Ponant, propriété d’un autre milliardaire, en l’occurrence François Pinault. (...)

Après avoir mis la main au portefeuille pour renflouer les comptes du Figaro, les riches touristes ont droit en mer à quelques conférences tenues par les éditorialistes maison, comme Alexis Brezet, ou par des journalistes de droite radicale comme Sonia Mabrouk, officiant sur Europe 1, ou encore par de pseudo-experts, telle Agnès Verdier-Molinié, qui fait des tabacs dans tous les milieux conservateurs, même si toutes les études qu’elle conduit sont vivement contestées pour leur manque de rigueur par la communauté des économistes.

Seulement voilà ! Cette diversification s’est révélée désastreuse : avec la crise sanitaire, les croisières ont été interdites et les résultats du Figaro ont plongé d’autant. (...)

dans la tradition familiale, c’était bien cela l’utilité de la presse : un moyen pour les puissances d’argent de peser sur le débat public. Dans sa naïveté un peu niaise, le sénateur-patron de presse ne faisait d’ailleurs pas même l’effort de masquer ses desseins. Les « journaux doivent diffuser des idées saines », proclamait ainsi l’avionneur le 10 décembre 2004 sur France Inter, précisant que « les idées de gauche ne sont pas des idées saines ». Comme un écho, on entend la formule célèbre de Napoléon III – aussi niaise mais passablement inquiétante : la « vraie morale » doit consister à ne faire « que des livres consolants et servant à démontrer que l’Homme est né bon et que tous les Hommes sont heureux ». (...)

dans la tradition familiale, c’était bien cela l’utilité de la presse : un moyen pour les puissances d’argent de peser sur le débat public. Dans sa naïveté un peu niaise, le sénateur-patron de presse ne faisait d’ailleurs pas même l’effort de masquer ses desseins. Les « journaux doivent diffuser des idées saines », proclamait ainsi l’avionneur le 10 décembre 2004 sur France Inter, précisant que « les idées de gauche ne sont pas des idées saines ». Comme un écho, on entend la formule célèbre de Napoléon III – aussi niaise mais passablement inquiétante : la « vraie morale » doit consister à ne faire « que des livres consolants et servant à démontrer que l’Homme est né bon et que tous les Hommes sont heureux ». (...)

Puis, à la mort de Serge Dassault, en 2018, Olivier Dassault a repris le flambeau, même si c’est avec moins d’entrain : lui aussi a signé les éditos du 1er janvier pour souhaiter la bonne année aux lecteurs du Figaro. Mais quand lui-même est décédé en mars 2021 à la suite d’un accident d’hélicoptère, on a vite compris que sa disparition constituerait une rupture dans l’histoire du groupe, et que pour Le Figaro une nouvelle page allait s’ouvrir.

Or cette nouvelle page, c’est précisément Vincent Bolloré qui risque de l’écrire. Selon nos informations, il s’intéresse de près au Figaro depuis 2018, et la disparition d’Olivier Dassault a clairement ouvert pour lui une fenêtre d’opportunité. D’où l’accélération des tractations avec la famille Dassault depuis le milieu de cette année.

Dans l’histoire du capitalisme parisien, ce pourrait être l’épilogue d’une chronique annoncée. Entre les familles Bolloré et Dassault, il existe en effet des liens très anciens. (...)

Pour Le Figaro, ou du moins pour les hiérarques qui l’animent, le passage du journal dans la galaxie Bolloré, et son ancrage de plus en plus net à l’extrême droite, ne constituerait pas du tout un séisme, tout au contraire. Car, depuis au moins 2012, la droite radicale dispose de nombreuses entrées au sein du journal. (...)

Si l’OPA de Vincent Bolloré sur Le Figaro aboutit, beaucoup de ces hiérarques, qui ont déjà leur rond de serviette sur CNews, accueilleront leur nouvel actionnaire avec la satisfaction que l’on devine. On a d’autant moins de raisons d’en douter qu’Éric Zemmour est toujours lui-même salarié en CDI du Figaro, profitant pour l’heure d’un congé sans solde.

Si Vincent Bolloré n’a pas à craindre les réactions en interne, il risque évidemment d’en aller très différemment en dehors du journal. Car avant même que l’on découvre ses visées sur ce nouveau quotidien, la boulimie d’achats de l’homme d’affaires et les purges qu’il a organisées au sein des médias acquis par lui n’ont cessé d’alimenter ces derniers temps des polémiques de plus en plus vives. (...)

Organisant une véritable purge au sein d’iTélé, avant qu’elle ne se transforme en CNews, il y a promu tous les chroniqueurs d’extrême droite ou de droite radicale possibles et imaginables, y installant des figures de Valeurs actuelles, et a bien évidemment enrôlé Éric Zemmour dans l’aventure. Au fil des mois, la chaîne est ainsi devenue la chambre d’écho permanente de tous les débats les plus rances et s’est transformée en instrument de propagande du chroniqueur quand il a engagé sa précampagne présidentielle.

Puis, par la suite, c’est ce même maillage que Vincent Bolloré a poursuivi quand, montant au capital du groupe Lagardère, il a d’abord mis la main sur son premier joyau, Europe 1, et a arrimé la station à la chaîne CNews, avec des animateurs et des émissions communs, renforçant d’autant le matraquage de l’empire de presse et son entreprise de fascisation des esprits. Et Vincent Bolloré a continué sur sa lancée, comme nous l’avons aussi chroniqué, en plaçant des obligés proches de ses propres idées aux commandes du JDD et de Paris Match. (...)

S’il aboutit, le rachat du Figaro par Bolloré pourrait donc être la goutte d’eau qui fait déborder le vase, et imposer la question de la concentration des médias comme un sujet majeur de la campagne présidentielle.

Même s’il est maintenant en guerre ouverte avec Emmanuel Macron, lequel essaie en riposte de favoriser le rachat de M6 par TF1, Vincent Bolloré n’a sans doute pas grand-chose à craindre du pouvoir. Ce dernier a en effet demandé à l’Inspection générale des finances et à l’Inspection générale des affaires culturelles de conduire une étude sur la concentration des médias.

Mais, comme Mediapart l’a raconté, la mission confiée par le gouvernement à ces deux corps d’inspection est très circonscrite (...)

Il n’empêche ! Même s’il y a une logique à ce que Vincent Bolloré, voulant instrumentaliser son groupe de presse au profit de la candidature d’extrême droite d’Éric Zemmour, prenne le contrôle du Figaro, dont le même Éric Zemmour est l’une des grandes figures, cela finit par indigner même les plus modérés : quand donc un coup d’arrêt sera-t-il donné à cette interminable concentration des médias entre les mains de quelques milliardaires ?

Interrogé par Mediapart, le conseil en communication de Vincent Bolloré n’avait pas souhaité répondre à nos questions, pas plus que Laurent Dassault (...)