
Au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, en Seine-et-Marne, des personnes accusent des policiers de violences lors de leur incarcération. Deux femmes ont porté plainte.
Le centre de rétention (CRA) du Mesnil-Amelot (Seine-er-Marne) est connu des associations pour son insalubrité et une nourriture insuffisante. Ici sont enfermées des personnes étrangères qui ont fait l’objet d’une mesure d’éloignement. L’administration ne leur reconnaît pas le droit de séjourner sur le territoire français. (...)
Début juillet, la députée de La France insoumise de Seine-et-Marne Ersilia Soudais visite le centre lorsqu’une altercation survient entre des hommes retenus, obligeant plusieurs agents à intervenir. « Ce genre de scène arrive environ cinq fois par jour, commente Alejandra* [1], une femme colombienne retenue au centre. Ici, les disputes peuvent commencer à partir de rien, car tout le monde est fatigué. » Les relations peuvent aussi être tendues avec la police aux frontières. « Il y a les bons et les mauvais policiers », dit Samia*, 41 ans, une femme d’origine algérienne.
Une fois libérées, les femmes parlent plus librement. Mariama*, la trentaine, a été retenue dans la zone des femmes du CRA du Mesnil-Amelot pendant 75 jours. Mère d’un enfant de neuf ans, elle a à sa sortie porté plainte contre un policier en civil qu’elle accuse de violences. Les faits remontent au 6 mai 2023. La veille, la trentenaire se voit prescrire des antidouleurs pour soulager des maux de ventre à l’issue d’une consultation médicale. « J’étais très fatiguée et malade à ce moment-là », dit-elle.
Lésions au bras
Pour cette raison, au moment où le personnel d’entretien vient nettoyer, elle demande à un policier s’il est possible de rester au lit pendant le ménage. « Je lui ai dit ça gentiment, mais il a refusé. Il a pris mon bras et m’a traînée dehors par terre », reprend-elle la voix tremblante. Elle dit avoir beaucoup pleuré : « On ne m’a jamais humiliée de la sorte. »
Mariama rapporte alors son agression à l’association La Cimade, qui tient une permanence d’aide juridique au CRA du Mesnil-Amelot. Mais elle ne peut pas être auscultée par un médecin le jour même. « L’infirmière m’a répondu que j’étais déjà venue la veille et que je ne pouvais pas m’y rendre tous les jours. » Résultat : elle doit attendre la semaine suivante pour faire constater ses blessures à un soignant (...)
« Ma cliente présente des lésions au niveau de l’avant-bras et au-dessus du coude, précise son avocat Florent Bertaux, citant le certificat médical. C’est ce qui nous a permis de déposer une plainte. » L’avocat va saisir le procureur de la République afin qu’il sollicite une enquête de l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN). La direction du CRA de Mesnil-Amelot n’a pas répondu à nos sollicitations.
Le corps couvert de bleus
Mariama dit avoir été témoin d’autres faits de violence au CRA du Mesnil-Amelot, sans vouloir en dire plus. Alma*, elle aussi ex-retenue, originaire d’Algérie, raconte une scène qui a eu lieu dans les couloirs de l’infirmerie. (...)
Contrairement à Mariama, elle ne pourra pas faire constater ses blessures. « L’infirmerie a refusé de lui rédiger un certificat médical. L’unité médicale n’a pas donné de réponses concernant les raisons de ce rejet », confirme la Cimade à qui Alma et Aïcha ont tout relaté. Même dépourvue de ce document, Aïcha décide de porter plainte contre le policier le 3 juin. Cette femme, elle aussi originaire d’Algérie, en dépose une deuxième le 14 juin, pour fouilles abusives survenues le 12 juin, selon la Cimade. Dans les deux cas, les policiers étaient en civil.
« Ces violences au CRA du Mesnil-Amelot ne sont pas des cas isolés. J’ai discuté avec d’autres personnes qui ont, elles, trop peur de porter plainte », assure une intervenante juridique à la Cimade sous couvert d’anonymat. Fin mai, l’une de ses collègues a été témoin d’une scène de violence. Elle aussi veut cacher son identité. (...)
Chez les hommes, il suffit d’appeler sur les cabines mises à disposition des retenus pour entendre un nouveau témoignage de violence. (...)
Pas de données statistiques
Pour la Cimade, la direction du CRA légitimerait ces violences avec l’évolution du profil des personnes retenues, marquée par une augmentation de sortants de prison. Ils représentent 39,9 % des personnes retenues au Mesnil-Amelot. Par ailleurs, l’atmosphère délétère au sein des CRA en France constitue un terreau fertile pour ces violences, ajoute l’association. (...)
Dans son dernier rapport,, le CGLPL relevait une « augmentation préoccupante du niveau de violence entre personnes retenues » au Mesnil-Amelot. Qu’en est-il des chiffres des violences de la part des policiers ? Il n’en existe pas de réel recensement. « Dans le CRA, les incidents de violences entre retenus ou encore les violences de retenus sur des intervenants ou policiers sont enregistrés, mais rien n’est prévu concernant les signalements de violences de personnel sur retenus, précise Dominique Simonnot. Ce n’est pas une donnée statistique qui existe. Et c’est un problème. »