Une infirmière vient d’être licenciée des Hôpitaux de Paris après un an de réprimandes sur son refus de retirer le bonnet qu’elle porte sur la tête. Une injonction qui se généralise, au nom de la laïcité ou de l’hygiène, provoquant la détresse de nombreuses soignantes musulmanes ou perçues comme telles.
Sept années après avoir débuté son métier d’infirmière à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, Majdouline B. a été renvoyée et radiée de la fonction publique. Celle qui, à plusieurs reprises, a été décrite par sa hiérarchie comme « très appréciée de ses collègues, des médecins, mais aussi de l’encadrement », « à l’écoute » et « soucieuse de la prise en charge des patients » n’est donc plus fonctionnaire depuis le 10 novembre 2025.
L’arrêté a été signé de la main de la directrice du groupe hospitalier Sorbonne-Université de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui regroupe trente-huit établissements publics de santé.
La raison du renvoi tient à un bout de tissu : le calot, ce petit bonnet d’ordinaire porté au bloc chirurgical ou en réanimation, qui s’achète sur des sites spécialisés dans les tenues hospitalières, dans une multitude de couleurs et de motifs. Majdouline le porte au quotidien depuis son embauche en 2018 sans avoir reçu ni remarque ni critique. Jusqu’à ce que tout bascule en décembre 2024.
La direction demande alors à l’ensemble du personnel soignant de son service de signer une « charte de la laïcité dans les services publics ». L’infirmière, comme les autres, s’exécute, estimant « très bien » le texte qui interdit de « manifester ses convictions religieuses ».
Le durcissement de la politique de l’AP-HP remonte à décembre 2023, quand a été diffusé un nouveau « guide de laïcité » qui indique que « le port d’une charlotte de bloc opératoire, en dehors des situations dans lesquelles elle est requise pour les besoins du service, peut constituer l’expression d’une appartenance religieuse et, ainsi, un comportement professionnel fautif ». (...)
Blandine Chauvel, élue du personnel Sud Santé, raconte elle aussi une « chasse aux bonnets, aux bouts de tissu ». « De plus en plus de cas nous remontent, explique-t-elle. Des collègues s’en vont sans bruit, l’enlèvent à contre-cœur, certaines mettent une perruque. Ils semblent viser les personnes selon leur origine ou leur religion supposées. Pourtant, des collègues portent un bonnet pour cacher une alopécie, d’autres, d’origine africaine, mettent des turbans pour des raisons culturelles. »
Majdouline, elle, refuse de s’exécuter. « Aucun texte, aucun règlement n’interdit de porter un calot, s’indigne-t-elle. C’est du racisme et de la discrimination. Je le sais, c’est ciblé. La laïcité est ciblée, contre nous, les personnes musulmanes. »
Pas de calot mais des sapins
Toujours dans un hôpital de l’AP-HP, une jeune chirurgienne, Myriam*, est elle aussi rappelée à l’ordre par sa hiérarchie. Son calot est pourtant obligatoire au bloc et n’a jamais suscité aucune remarque de ses collègues ou de patient·es. Convoquée par la direction des affaires médicales, elle est « sidérée » mais n’a pas tremblé : « Selon le règlement intérieur de l’AP-HP, un vêtement peut devenir religieux par la volonté de celui qui le porte. Je n’ai jamais manifesté de volonté religieuse. »
Ce strict respect des règles, tout à coup, lui paraît à géométrie variable. « J’ai toujours travaillé beaucoup plus que le temps réglementaire. Ça n’a jamais posé de problèmes à personne. » Elle raconte aussi que certaines fêtes religieuses chrétiennes font partie de la vie des services : « À Noël, il y a des sapins, on mange une bûche, des chocolats. La galette des rois est systématique. »
« En réalité, poursuit-elle, on me soupçonne en raison de mon nom, de ma tête. C’est de la discrimination. » Une de ses collègues médecins témoigne en soutien de Myriam : « Cela fait des années que j’exerce à l’hôpital, et jamais personne ne m’a reprise sur mon port de la charlotte en dehors du bloc, ce qui m’arrive souvent. On ne me dit rien parce que je ne suis pas perçue comme une femme musulmane. » Comme Majdouline, Myriam ira jusqu’au bout : « S’ils m’excluent, ils auront perdu une chirurgienne. Je trouverai du travail ailleurs. Avant, je voulais travailler pour l’hôpital public. »
La bataille pourrait bien s’annoncer corsée. Majdouline, elle, a été convoquée six fois en entretien ou en conseil disciplinaire en présence de membres de sa hiérarchie. Jusqu’au dernier conseil de discipline, le 13 octobre 2025, qui mobilise pendant plus d’une heure des représentants syndicaux et des directeurs haut placés pour statuer sur son couvre-chef en tissu. (...)
« Les conseils de discipline, c’est quand on fait de vraies erreurs, c’est très grave !, se désole Majdouline. Je leur ai dit que j’avais l’impression d’être devant un tribunal, qu’ils me mettaient au même niveau que des gens qui tuent des patients. Alors que je suis une très bonne infirmière, je le sais. » Contactée, l’AP-HP confirme que le conseil de discipline, « qui ne se prononce que sur les manquements les plus graves », n’a, à part pour Majdouline, « été saisi qu’une seule fois depuis juin 2023 » sur le sujet de la laïcité.
L’infirmière finit par être renvoyée, pour deux motifs : « Port d’une tenue vestimentaire inadaptée, un couvre-chef, et refus réitérés de l’ôter malgré les demandes. » La laïcité, pourtant invoquée au départ comme raison des griefs à son endroit, a complètement disparu des justifications. Interrogée à de nombreuses reprises sur la raison pour laquelle elle cache ses cheveux, Majdouline a toujours refusé de répondre, expliquant que cela relevait de sa vie privée.
« Il n’a jamais été établi que le couvre-chef de Majdouline ait une quelconque connotation religieuse, argumente la section syndicale Sud Santé de la Pitié-Salpêtrière, qui a accompagné l’infirmière en conseil de discipline, dans un rapport écrit. Or, le simple fait de présupposer une appartenance religieuse à partir d’un signe vestimentaire ou d’une apparence physique constitue en soi une discrimination fondée sur l’origine ou la religion supposée. » (...)
En 2013, la direction de l’hôpital de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) a exigé d’un praticien hospitalier qu’il coupe sa barbe dont la longueur était jugée ostentatoire. En 2020, le Conseil d’État a estimé qu’il n’y avait aucune « circonstance susceptible d’établir que M. A… aurait manifesté de telles convictions [religieuses] dans l’exercice de ses fonctions ».
Majdouline va déposer dans les prochains jours un recours devant le tribunal administratif. Et c’est sur cette jurisprudence du Conseil d’État que son avocat, Lionel Crusoé, va s’appuyer.
Quelle perte de temps et d’énergie ! Perdre du personnel là-dessus, c’est complètement délirant.
Georges, médecin à la Pitié-Salpêtrière
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« Raidissement » généralisé
Cette chasse aux couvre-chefs dépasse l’AP-HP. Au centre de lutte contre le cancer Gustave-Roussy, à Villejuif (Val-de-Marne), une centaine d’agentes ont rejoint un groupe WhatsApp, car elles se sentent menacées par la diffusion depuis le début de l’année 2025 d’un nouveau livret sur les tenues professionnelles. Il y est indiqué que les cheveux doivent être « propres, attachés ou courts », et que « les coiffants […] ne doivent pas être portés en dehors de l’activité de soin ».
Une infirmière qui travaille dans un service de réanimation et au bloc, où le port d’une charlotte ou d’un calot est obligatoire, se retrouve à son tour dans une situation absurde : à cause de son calot, elle « ne peut plus aller manger ou aller en réunion », explique-t-elle.
Les personnels de l’institut Gustave-Roussy ont reçu plusieurs e-mails depuis le début de l’année. Et certaines femmes ont été convoquées. À l’une d’elles, sa cadre écrit, dans un compte rendu : « Concernant le port du couvre-chef, nous avons noté que tu ne souhaitais pas le retirer. […] Nous relayons cette information à notre service RH. » L’infirmière de réanimation est défaitiste : « On pense qu’on finira licenciées. » (...)
Un syndicaliste qui requiert l’anonymat s’inquiète d’une dégradation des conditions de travail : « Il y a déjà cent postes d’infirmières vacants sur six cents. Ces soignantes sont essentielles à l’hôpital. » Mais il confie aussi que son syndicat est mal à l’aise sur le sujet : « Il y a une consigne de mes camarades de ne pas prendre position en faveur du maintien du voile à l’hôpital, car on est pour la laïcité. On se retrouve très mal à l’aise vis-à-vis des salariées concernées. »
Le syndicat Unsa n’a lui aucune arrière-pensée. « La charlotte ou le calot font partie de la tenue hospitalière, explique-t-il. La direction se cache derrière un faux argument d’hygiène. En réalité, elle vise ce signe qu’elle associe à tort à la religion. Nous dénonçons cette mesure arbitraire qui discrimine principalement les femmes, une fois de plus. »