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Nouvel Obs/Tribune/Un collectif de parlementaires et juristes
A69 : lettre ouverte à ces élus qui se croient au-dessus des lois
#A69 #Atosca #resistances #arbres #droit #ecureuils #TA
Article mis en ligne le 22 mars 2025
dernière modification le 21 mars 2025

Depuis l’arrêt du chantier de l’autoroute Castres-Toulouse, des élus du Tarn ont déposé le 14 mars une proposition de loi pour revenir sur la décision du tribunal administratif de Toulouse. Dans une tribune, des parlementaires écologistes et des juristes dénoncent une démarche antidémocratique.

Dans le dossier de l’autoroute « Pierre Fabre », la décision du tribunal administratif de Toulouse présente un caractère historique à double titre. D’abord, parce que le tribunal a montré son indépendance, malgré les pressions constantes des porteurs de ce projet pompidolien, et son impartialité, en appliquant tout simplement la loi. Ensuite, en tenant en échec la pratique du fait accompli qui consiste à réaliser des travaux alors que l’on sait depuis le début que les autorisations administratives sont atteintes d’un vice irrémédiable. Atosca [constructeur et concessionnaire] et ses tenanciers ont joué avec le feu. Ce n’est pas la faute du tribunal s’ils se sont brûlés.

Mais les auteurs de ces lignes – qu’ils soient ou non impliqués dans la lutte contre ce projet – sont sidérés de lire les propos de certains élus contre une décision de justice. (...)

certains parlementaires, et en premier lieu M. Terlier, député du Tarn, ont déposé une « proposition de loi dite de validation » pour briser la jurisprudence du tribunal administratif : changer les règles du jeu en cours de match, il fallait oser.

Alors, permettez-nous de rappeler quelques évidences que nous empruntons à quatre hauts magistrats qui ont lancé une alerte dans les colonnes du « Monde » (7 mars 2025) pour protéger l’Etat de droit, potomitan de la démocratie.

Si l’Etat de droit est une contrainte qui s’impose à tous, c’est pour assurer le maintien de la paix civile. (...) S’il suffit pour un groupe privé de faire passer une loi de complaisance, nous serions face à une pratique de simonie et une dérive ploutocratique inquiétante.

De son côté, Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’Etat, nous rappelle que « le premier acteur de l’Etat de droit, c’est l’administration ». Et c’est le reproche que l’on peut faire à l’« administration » préfectorale dans le dossier A69 : ne pas avoir tenu compte des signaux d’alerte lancés par différentes autorités, agences environnementales ou commissions indépendantes.

Avec Christophe Soulard, premier président de la Cour de Cassation, il faut marteler que « l’Etat de droit, aujourd’hui, ce n’est pas seulement le respect de règles formelles, c’est aussi le respect de droits fondamentaux substantiels, qui peuvent être opposés à la volonté de la majorité ». (...)

Quant aux règles supranationales, il convient de rappeler que la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales consacre la notion de « prééminence du droit ». Dans les sociétés démocratiques et protectrices des droits et libertés fondamentales d’Europe, ce concept assure la sécurité juridique et protège contre l’arbitraire des détenteurs du pouvoir qu’il soit politique ou économique.

Quant aux critiques véhémentes contre le carcan réglementaire qui empêcherait tout projet, nous nous reconnaissons dans l’affirmation de Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’Etat, lorsqu’il constate qu’il y a « des acteurs qui ont un intérêt à ce que certaines normes ne s’appliquent pas pour des raisons économiques, politiques, philosophiques ». De même, Christophe Chantepy, président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, a décrypté vos manœuvres lorsqu’il observe qu’« il y a des agendas politiques ou économiques qui conduisent, pour des raisons diverses, à avancer l’idée que l’Etat de droit empêcherait d’agir ». C’est oublier un peu vite que les règles qui s’imposent à tous sont issues de lois ou de traités qui résultent d’une décision du souverain, c’est-à-dire le peuple (article 3 de la Constitution), et non de quelques financiers planqués dans des paradis fiscaux ou des industriels qui se comportent comme des « maîtres de forges ».

Pour conclure, laissons la parole au premier président de la Cour de Cassation, Christophe Soulard, qui souligne cette évidence : « Lorsqu’on met en cause la légitimité du juge, on fragilise l’ensemble du système : à partir du moment où on peut commencer à s’en prendre à l’une des institutions de l’Etat de droit, pourquoi les critiques s’arrêteraient là ? Il y a un effet domino dans la mise en cause des différents piliers de la démocratie. » (...)

Alors, Messieurs et Mesdames les parlementaires, laissez la justice travailler dans le cadre d’un débat contradictoire et rationnel. Foin d’émotions et de déclarations éruptives. Vous devriez respecter les juges comme vous devriez respecter les citoyens qui sont vos électeurs. Et comme cela, tous ensemble, nous défendrons et l’Etat droit et la démocratie, quoi qu’il en coûte aux investisseurs de l’A69.