
Le mouvement Emmaüs a rendu public, mercredi 9 juillet, un rapport faisant état de douze nouveaux témoignages d’agressions sexuelles ou de viols commis par l’abbé Pierre, dont sept concernant des personnes mineures. Un signalement a été adressé à la justice.
Un an après le déclenchement de l’affaire, ce sont désormais 45 témoignages qui mettent en cause l’abbé Pierre. Un rapport, rendu public mercredi 9 juillet par le cabinet spécialisé Egaé, fait état de douze nouveaux témoignages de violences sexuelles à l’encontre du cofondateur du mouvement Emmaüs, dont « sept concernent des personnes mineures », âgées de 10 à 17 ans au moment des faits, entre les années 1950 et 2000.
Certaines femmes dénoncent des agressions sexuelles (...)
D’autres évoquent des faits pénalement plus graves, dont des viols (...)
D’autres témoignages mettent en cause des tierces personnes : un couple qui était responsable d’une association locale Emmaüs, ou encore le responsable d’une communauté. Celui-ci aurait été protégé par l’abbé Pierre, qui « serait intervenu pour faire cesser une enquête de police sur des violences sexuelles sur mineur [qu’il aurait] commises », d’après les éléments reçus par Emmaüs et Egaé.
Le cabinet Egaé a par ailleurs rédigé deux notes en vue d’un signalement à la justice. La première concerne un témoignage retrouvé dans les archives personnelles de l’abbé Pierre, et dont l’origine est inconnue : celui « d’un jeune garçon faisant état de violences physiques et sexuelles subies dans le cadre de soirées organisées par des adultes ». « Aucun lien n’a pu être établi avec l’abbé Pierre », précise le rapport.
La deuxième note concerne les informations transmises par l’une des deux sœurs citées plus haut, sur des personnes autres que l’abbé Pierre, « pour des faits de violences sexuelles sur mineures ».
Un dispositif de réparation financière
Dans un long communiqué revendiquant « le choix de la transparence et de l’attention portée aux victimes », le mouvement Emmaüs reconnaît sa « responsabilité historique ». L’organisation, qui a considérablement bénéficié de l’image et de la notoriété de l’abbé Pierre pendant des décennies, acte ces « violences très graves » et le fait que « cette réalité fait désormais partie de l’histoire de son fondateur ».
Emmaüs a pensé un vaste « dispositif d’écoute, d’accompagnement, d’enquête sociologique et historique et de réparations », qui place les victimes « au centre de toutes ses actions », souligne l’organisation.
Mais de manière plus inédite encore, le mouvement et la Conférence des évêques de France (CEF) ont décidé de mettre en place conjointement, en septembre, « un dispositif de réparation financière à destination des victimes, qui sera porté par la Commission reconnaissance et réparation (CRR) ».
Ce dispositif « prolonge le devoir de transparence par un devoir de réparation, dans toutes ses dimensions – morale, psychologique, matérielle », explique le mouvement. Emmaüs assure qu’aucun don versé au mouvement ne servira à financer ces réparations, qui seront « entièrement » prises en charge par « les fonds propres du mouvement Emmaüs et ceux de la CEF », selon un « principe de responsabilité partagée ». (...)
« Comment vous faites quand c’est Dieu qui vous fait ça ? » Sur le plateau de Mediapart, une des victimes de l’abbé Pierre avait expliqué que jamais elle n’aurait osé témoigner sans ce processus, exemplaire. « L’abbé Pierre, c’était une entité, une aura. Personne ne m’aurait crue », raconte alors Pascale, 53 ans, artiste et agente de la petite enfance.
Des alertes remontant aux années 1950
De très nombreuses alertes ont été émises au fil des années, notamment dès le début de la carrière de l’abbé. Dans le premier rapport, une personne « qui connaît bien le mouvement », disait déjà : « Toute une génération savait que l’abbé Pierre dérapait. […] Ce n’était pas un épiphénomène. »
Plusieurs historiens ayant travaillé au sein de la Ciase, la commission consacrée aux violences sexuelles dans l’Église, attestent que la hiérarchie de l’Église catholique est avertie à partir de 1954-1955.
Les évêques informés ont même imposé une cure médicale et psychiatrique à l’abbé Pierre – elle a eu lieu en 1957 et en 1958 dans une clinique en Suisse. En 1961, il fait aussi une retraite. Tout ceci correspond au « traitement » que l’Église fait alors des prêtres agresseurs… Parallèlement, des membres de la direction d’Emmaüs demandent à l’abbé Pierre de se retirer de la direction – tout ceci figure dans des courriers.
« Les responsables d’Emmaüs, les évêques qui savaient ont étouffé les affaires », estiment encore ces historiens, dans une tribune publiée par Le Monde à l’été 2024. Depuis, le Vatican a confirmé avoir été alerté. (...)
il faut souligner que l’abbé Pierre s’est révélé menaçant à l’égard de ceux qui ont évoqué ces faits devant lui. À l’étudiant américain qui a organisé sa tournée de 1955, il écrit : « S’il faut, mes réponses seront brutales, chirurgicales. »
Auprès d’un cardinal québécois, il évoque même des poursuites – nous sommes en 1959, mais les mécanismes sont déjà les mêmes qu’aujourd’hui dans d’autres affaires. L’abbé Pierre écrit : « Il faut que ceux qui tiennent ces propos sachent que s’ils confirment de telles calomnies infâmes, je ne pourrai pas ne pas les poursuivre devant les tribunaux. »