
Un ministre de l’intérieur qui refuse de se rendre sur les lieux du drame, une maire qui boude une marche blanche et un préfet qui se déplace quatre jours après l’attaque dans le lieu de culte. À La Grand-Combe, beaucoup dénoncent une inertie institutionnelle que les politiques peinent à justifier.
(...) Comment expliquer une telle inertie institutionnelle et politique ? Mediapart retrace la chronologie d’un drame, dans un premier temps largement sous-estimé.
« On est à la fois tristes et en colère », commente pudiquement Djibril Cissé mardi à l’Assemblée nationale. L’oncle d’Aboubakar était invité avec d’autres membres de sa famille par l’élue écologiste Sabrina Sebaihi. Il est triste « parce que c’était un modèle » et qu’il s’est « fait assassiner dans sa gentillesse ». Il est aussi en colère face au « traitement médiatique et l’arrivée tardive des responsables politiques ». Mams Yaffa, représentant de la coordination des élu·es français·es d’origine malienne, déplore quant à lui qu’aucun représentant n’ait encore jugé utile de recevoir la famille : « Elle aurait aimé que le premier flic de France vienne la voir. Il ne l’a pas fait. » (...)
. La scène est filmée par les caméras de surveillance du lieu de culte. Sur les images consultées par Mediapart, on voit Aboubakar Cissé discuter avec le suspect avant sa prière.
C’est au moment où la victime se prosterne, le front sur le sol, que l’agresseur sort un couteau et le frappe par-derrière. Le tueur s’acharne ensuite sur le jeune homme durant de longues minutes, le poignardant sur tout le corps. Deux heures plus tard, des fidèles de la mosquée le retrouvent inerte et appellent les secours.
Raté médiatique
Quelques heures après la découverte du corps, le procureur d’Alès, Abdelkrim Grini, évoque auprès de l’Agence France-Presse (AFP) un acte « dont le mobile était encore indéterminé » et présente les faits en ces termes : « Deux hommes étaient seuls à l’intérieur de la mosquée, occupés à prier, lorsqu’un des deux a porté plusieurs dizaines de coups de couteau à l’autre [...] avant de le laisser pour mort et de prendre la fuite. »
Dans sa dépêche, l’AFP titre : « Un fidèle tué à coups de couteau par un autre fidèle dans une mosquée du Gard », laissant penser à une rixe entre deux hommes fréquentant le lieu de culte. (...)
« On avait le visage de l’assaillant. Dès le début, les responsables de la mosquée savaient que ce n’était pas un fidèle et l’ont directement précisé », confirme Sara Benlefki, l’une des avocates de la famille d’Aboubakar Cissé, en colère contre la minimisation de ce drame, largement reprise dans la presse. (...)
Très en colère contre « les médias qui ont proféré des mensonges », Marwan*, un habitant de La Grand-Combe, en veut aussi au représentant du parquet d’Alès, qui « aurait dû comprendre en regardant les images de vidéosurveillance que le tueur était une personne totalement étrangère à la mosquée ». (...)
Très en colère contre « les médias qui ont proféré des mensonges », Marwan*, un habitant de La Grand-Combe, en veut aussi au représentant du parquet d’Alès, qui « aurait dû comprendre en regardant les images de vidéosurveillance que le tueur était une personne totalement étrangère à la mosquée ».
« Le procureur a évoqué lui-même deux “fidèles” pour parler de l’assaillant et de la victime. »
L’Agence France-Presse, interrogée par Mediapart (...)
Selon nos informations, en fin d’après-midi vendredi, l’ensemble des services de l’État sait qu’il ne s’agit pas d’un fidèle, mais l’information erronée tarde à être corrigée.
Il faut attendre samedi matin pour que Le Parisien révèle les propos islamophobes proférés par Olivier H. Les services d’enquête ont découvert la vidéo, postée sur Discord, le montrant dans la mosquée après son attaque : « Je l’ai fait. Ton Allah de merde ! », déclare-t-il alors que la victime agonise. « Je lui ai planté ses fesses. Je vais être arrêté, c’est sûr. J’ai une caméra », poursuit-il avant de répéter : « Ton Allah de merde ! Enculé. » « Je vais devenir un tueur en série ! On va dire que je suis un tueur en série ! », ajoute-t-il aussi. « Piste islamophobe dans le meurtre d’un fidèle d’une mosquée du Gard », titre alors l’AFP. (...)
Le fidèle qui aurait attaqué un autre fidèle, le nom du suspect erroné, les erreurs sur l’âge de la victime... depuis le début de ce drame, des informations inexactes se sont multipliées.
Inertie politique
« L’ignoble assassinat qui s’est déroulé dans une mosquée dans le Gard blesse le cœur de tous les croyants, de tous les musulmans de France… », réagit le ministre de la justice, Gérald Darmanin, sur X, samedi à 17 h 23, suivi du premier ministre, François Bayrou. « L’ignominie islamophobe s’est exhibée sur une vidéo. Nous sommes avec les proches de la victime, avec les croyants si choqués », écrit-il samedi soir. Si le ministre de l’intérieur s’exprime dès vendredi après-midi et parle d’un homme « atrocement assassiné ce matin dans la mosquée de Grand-Combe », il ne modifie pas son agenda et ne se rend pas sur place. (...)
Après l’attaque au couteau et le décès d’une élève à Nantes la veille, Bruno Retailleau s’était pourtant immédiatement rendu dans l’école avec la ministre de l’éducation, Élisabeth Borne. Mais ce vendredi soir, le ministre préfère prendre sa casquette de candidat à la présidence du parti Les Républicains (LR) et reste dans l’Ain pour deux meetings. Il ne contacte ni les représentants de la mosquée ni la famille de la victime et se rend dans le département seulement deux jours après, dimanche 27 avril, et uniquement à la sous-préfecture du Gard. (...)
Depuis, Bruno Retailleau, qui s’était déjà distingué quelques semaines plus tôt en scandant « À bas le voile » lors d’une réunion publique, est sous le feu des critiques. « Le ministre de l’intérieur est aussi le ministre des cultes et je suis intimement convaincu qu’il fallait y aller aussitôt », a défendu son collègue LR Xavier Bertrand. « Face à cet attentat terroriste islamophobe, où était le ministre chargé de protéger tous nos concitoyens, quelle que soit leur confession ?, lui a demandé l’élue écologiste Sabrina Sebaihi mardi 29 avril, lors des questions au gouvernement. Car il aura fallu attendre deux jours, deux jours pour réagir, deux jours pour vous déplacer. Non pas sur les lieux du crime, non pas auprès de la famille, mais enfermé à la sous-préfecture d’Alès, loin des regards, loin du réel. »
Un déplacement écourté pour BFMTV
Le déplacement de Bruno Retailleau est en effet express et dure moins d’une heure. Arrivé à 14 h 30 à l’aéroport de Nîmes, le ministre se rend à 15 h 10 à la sous-préfecture pour parler aux enquêteurs et à « des représentants de la communauté musulmane ». « Le programme prévoyait que le ministre se rende à la mosquée », assure toutefois l’entourage de Bruno Retailleau à Mediapart. En réalité, le cabinet du ministre alertait les journalistes par message dès dimanche matin qu’il ne comptait pas y aller : « Attention, la venue à la mosquée n’est pas encore certaine. Il y a une marche blanche et nous ne voulons pas perturber ce moment de recueillement », peut-on lire dans une boucle WhatsApp. (...)
La maire communiste, Laurence Baldit, huée par la foule, avait choisi, elle aussi, de ne pas venir. C’est aujourd’hui la seule à faire son mea culpa : « J’ai fait le mauvais choix. Je n’ai pas mesuré à quel point les membres de la mosquée avaient besoin que la maire de la commune soit présente », expliquait-elle à La Croix mardi, promettant de diffuser une lettre à ses administré·es dans les prochains jours. (...)
sur place, de nombreux habitant·es et journalistes déplorent une mobilisation des forces de l’ordre quasi invisible. Le Monde évoque d’ailleurs une « présence des forces de l’ordre restée discrète » et le recteur de la mosquée Sud-Nîmes, Abdallah Zekri, livre le même constat à Mediapart. « Les personnes sont effrayées et s’organisent elles-mêmes pour sécuriser la mosquée », déplore l’avocate Sara Benlefki lundi. À l’inverse d’autres lieux de culte gardés par des patrouilles fixes lorsque des attaques surviennent, aucune voiture de gendarmerie ou de police n’était postée devant la mosquée avant mardi et la venue du préfet du Gard.
Interrogée, la préfecture explique « qu’une attention particulière est portée de manière générale à leur sécurisation, notamment par des patrouilles des forces de sécurité intérieure à des horaires stratégiques ». Elle assure en outre que « les événements organisés par les associations cultuelles font l’objet d’une vigilance renforcée, en particulier les prières musulmanes du vendredi ».
Critiqué lui aussi pour avoir refusé de se rendre sur place rapidement, le préfet du Gard s’est défendu, affirmant avoir « immédiatement après la révélation du crime abject commis à la mosquée de La Grand-Combe, publiquement apporté son soutien à la communauté musulmane du Gard ». Il a aussi précisé être « en relation constante avec le président de la mosquée ».
Dimanche soir vers 23 heures, le suspect principal Olivier H., qui est parvenu à rejoindre l’Italie, met fin à sa cavale en se rendant à la police de Florence. Comment expliquer qu’il ait pu si facilement quitter le pays ? « On a fait tout ce qu’il fallait faire. On n’a pas été surpris quand on nous a dit qu’il était en Italie », défend le procureur de la République aujourd’hui. « On le suivait quasiment à la trace avec un petit temps de retard du fait de l’absence d’élément électronique sur lui, poursuit-il. Il s’est rendu de lui-même, tant mieux, mais il aurait été arrêté très rapidement. »
« Le fait que le parquet antiterroriste ne soit pas saisi n’est pas normal », dénonce enfin l’avocate Sara Benfleki, alors que plusieurs élu·es de gauche qualifient aussi cette attaque « d’attentat terroriste ». (...)
En attendant les auditions du suspect, le Pnat estime que « les actes semblent davantage correspondre à un périple meurtrier, dont le premier passage à l’acte, non revendiqué, n’apparaît s’inscrire dans aucune idéologie, mais relève plutôt de la fascination morbide ». Cette décision est toujours contestée par les proches d’Aboubakar Cissé et les représentants de la communauté malienne. À l’Assemblée nationale, mardi, tous ont dénoncé un « deux poids et deux mesures » général dans le traitement de ce drame.
Au moment de leur prise de parole, ils venaient d’apprendre que la présidente de l’Assemblée nationale avait refusé qu’une minute de silence se tienne en hommage à leur proche sauvagement tué. Avant de finalement se raviser. Mercredi, c’est le président du Sénat, Gérard Larcher, qui s’y est opposé.