
Les énormes SUV électriques n’ont pas rencontré leur public, et la concurrence chinoise est rude. L’usine Audi de Forest, à Bruxelles, est donc menacée, plongeant des milliers de salariés et sous-traitants dans la galère.
En juillet, le constructeur allemand Volkswagen a brutalement annoncé l’arrêt anticipé, dès 2025, de la production du SUV électrique Q8 e-tron — un modèle trop cher qui ne trouve pas preneur. La fermeture annoncée d’Audi Brussels illustre les tensions qui secouent le secteur de la voiture électrique : les constructeurs européens ont des ventes moins importantes que prévu et la concurrence chinoise les déborde. (...)
Les ouvriers, eux, se battent pour sauver leurs emplois. Mais à la fin du mois d’août, la direction a refroidi les espoirs en confirmant qu’aucun nouveau véhicule ne serait produit à Bruxelles. Pour l’heure, la direction a décidé de fermer le site — les salaires sont suspendus. « Autant dire que c’est fini », lâche Joseph, qui est du genre à appeler un chat un chat. (...)
En attendant un hypothétique repreneur, des milliers de travailleurs (3 000 salariés et près d’un millier de sous-traitants), comme lui et sa fille, sont pris dans un tourbillon d’incertitudes. (...)
« On recevait moins de commandes, et dans la presse, on lisait que l’électrique s’effondrait. » Mais il ne s’attendait pas à un tel dénouement. Pas si vite. (...)
« Une Audi à 150 000 euros : qui peut se la permettre ? » (...)
« Ils auraient dû envisager l’hybride, ou un modèle plus petit et abordable, au lieu de miser tout sur une grosse électrique à 150 000 euros. Qui peut vraiment se permettre un tel luxe ? Je préfère m’acheter une maison. » (...)
La restructuration d’Audi Brussels menace aussi les sous-traitants
Une grappe de tentes colorées s’est formée le long des grilles de l’usine, ajoutant des touches vives au paysage grisâtre de la zone industrielle. En arrière-plan, un panneau arbore en anglais le slogan : « Bienvenue dans l’usine du futur. » Une ironie amère dans ce décor de déclin.
Depuis deux semaines, ces tentes accueillent des hommes et des femmes épuisés, leurs cernes creusés comme des cratères, déterminés à ne pas disparaître de cette histoire : les travailleurs sous-traitants. La restructuration d’Audi Brussels ne menace pas seulement les 3 000 emplois directs, mais aussi près d’un millier de sous-traitants qui, eux, se retrouvent soudainement à la porte. Ils sont presque enracinés dans leurs chaises de camping. (...)
Ces travailleurs ont assuré le déchargement des camions, la préparation et la distribution des pièces, ainsi que la livraison des véhicules. Des tâches ingrates, pour un salaire souvent 30 % inférieur à celui des ouvriers d’Audi. Ils veulent que leur voix résonne au-delà des murs de l’usine, que l’on se souvienne d’eux non comme de simples victimes d’une restructuration économique, mais comme des travailleurs qui ont contribué, année après année, à faire d’Audi ce qu’elle est aujourd’hui.
Trop vieux pour un nouveau travail (...)
Des années de travail acharné (...)
« Quand j’ai commencé ici, il faisait un froid de canard en bas, près des camions. L’été, c’était pareil, sauf qu’on étouffait de chaleur. Mais on tenait, on n’avait pas le choix. Quand ils ont enfin installé des ventilateurs, c’était pour protéger les batteries des voitures, pas pour nous. On était comme des animaux. On faisait avec. » (...)
Lire aussi :
– « Il faut soutenir les travailleurs de l’automobile », disent les écologistes belges
(...) Alors que l’usine Audi à Bruxelles devrait fermer, le parti belge Écolo a apporté son soutien aux 4 000 travailleurs qui pourraient être licenciés. S’attirant alors les foudres d’opposants, critiquant sa politique anti-voitures. (...)
un engagement qui a parfois suscité des incompréhensions.
Un soutien nécéssaire, tant la Audi « fait partie intégrante de notre tissu social et urbain », explique Séverine de Laveleye, membre d’Écolo et habitante de Forest. (...)
Séverine de Laveleye — Il est évident pour nous, écologistes, de nous tenir aux côtés des travailleurs et travailleuses. Notre vision politique repose sur une critique du système capitaliste et néolibéral, qui exploite à la fois les ressources de la planète et les populations humaines. Cette lutte est au cœur de notre combat depuis toujours. Nous voyons les travailleurs, notamment ceux en bas de la chaîne de production, comme les victimes malmenées par les décisions de multinationales qui délocalisent leurs activités pour réduire les coûts, laissant des milliers de personnes sans emploi. C’est une des facettes les plus criantes de l’impasse dans laquelle on se trouve. (...)
Nous avons de bons contacts avec les syndicats, et lors de nos visites les échanges se déroulent très bien.
Cependant, je ne peux que comprendre la colère et le désarroi de certains travailleurs. Ils sont dans une situation difficile, il est naturel de chercher des coupables. Ce désarroi peut conduire à des raccourcis et des malentendus. Mais cette colère ne doit pas nous faire perdre de vue les véritables responsables : les grandes multinationales qui privilégient le profit au détriment de l’humain. (...)
On nous accuse souvent, en tant qu’écologistes, d’être contre les voitures ou de causer des difficultés économiques à cause de notre soutien à la fin des voitures thermiques. Ce n’est pas le cas. La nécessité de sortir des énergies fossiles n’est pas une lubie des écologistes, mais une nécessité claire, établie par les scientifiques depuis des décennies. Il s’agit d’un consensus politique européen pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, un objectif acté dans la loi Climat européenne. (...)
il est fondamental de relocaliser les modes de production et de consommation. Cela vaut pour tous les secteurs, de l’alimentation aux médicaments, mais aussi pour l’industrie automobile. (...)
Il est certain que nous aurons toujours besoin de voitures dans certaines zones ou pour certains usages, même si nous devons favoriser et donc continuer de développer les mobilités douces et partagées. Il y aura encore des zones où les transports publics ne seront pas facilement accessibles et, dans ces cas-là, la voiture restera indispensable. Il est crucial que l’Europe continue de produire ses voitures, mais avec un réel souci environnemental. (...)
Il faut des voitures plus petites, moins énergivores, adaptées aux réels besoins des gens. Nous devons aussi encourager l’économie circulaire autour de la production automobile, en maximisant le recyclage des métaux rares utilisés dans les véhicules électriques. Il y a là un potentiel et une marge énormes pour créer des emplois de qualité, tout en respectant les limites planétaires. (...)
C’est au niveau européen que des mesures structurantes doivent être prises. Il est essentiel d’avoir des outils comme la taxation carbone aux frontières, et des normes environnementales exigeantes en termes de responsabilité sociale des entreprises. Cela inciterait les investisseurs à relocaliser, car produire en Europe serait plus attractif.