
Pour la militante du mouvement pour le climat, la bataille pour l’environnement et contre les pollutions chimiques relève de « la lutte des classes » et nécessite, à ce titre, d’assumer le clivage avec les ultra-riches.
(...) Le Réseau Action Climat recense « au moins 43 reculs environnementaux » lors des six premiers mois de l’année, lorsque François Bayrou – depuis remplacé par Sébastien Lecornu – était en fonction. Pourquoi l’écologie est-elle devenue une cible ?
Je n’attendais rien de François Bayrou mais il m’a quand même déçue. C’est une bonne chose que son gouvernement soit tombé mais je n’ai aucun espoir pour le suivant. Être anti-écolo est devenu un signifiant là où, il y a quelques années, les mêmes s’habillaient du drapeau de l’écologie, y voyant l’opportunité de récupérer quelques voix.
Le retour de Donald Trump a ouvert toutes les brèches. Il faut se rendre compte que « Les Républicains » de Bruno Retailleau ne veulent plus subventionner les énergies renouvelables ou que l’extrême droite, en pleine canicule, propose d’installer des climatiseurs partout.
Ils assument ce positionnement anti-écolo, car ils imaginent que c’est être du côté du peuple. Cela va de pair avec la couverture médiatique… La désinformation climatique n’a jamais été aussi élevée depuis vingt ans selon Quota Climat. Et ce alors que plus d’un million d’hectares ont brûlé en Europe cet été et que nous avons déjà enterré toute possibilité de respecter l’accord de Paris pour rester sous la barre d’un réchauffement à + 1,5 °C.
Ce backlash me terrifie puisqu’il contamine ceux qui étaient censés être un minimum sensibles à la question climatique. Emmanuel Macron devait être le président du « Make the Planet Great Again ». En réalité, il croit qu’on peut gérer la France comme la Silicon Valley en misant tout sur la technologie (...)
ce statu quo tue : chaque année, la pollution de l’air représente, en nombre de morts, l’équivalent du Covid sans que ça n’émeuve personne.
Vous avez souvent débattu au Medef ou avec les macronistes. C’est parce que vous espérez les convaincre ?
Je ne veux pas les convaincre mais exposer leur bêtise au monde, leur déconnexion vis-à-vis des enjeux qui comptent. C’est aussi un moyen de créer de la division dans leur camp. Ça a été utile pour obtenir l’interdiction des Pfas. Au départ, les macronistes étaient vent debout.
Il a fallu aller les voir un par un pour leur soumettre un choix : voulez-vous voter comme votre groupe parlementaire ou selon la science ? Et maintenant ils se réclament des avancées dont ils ne voulaient pas, alors qu’ils sont toujours des obstacles sur notre route.
Pour décrédibiliser les écologistes, les droites répètent ad nauseam que vous seriez « anti-sciences ». Quel est votre rapport à la matière scientifique ?
Si je n’avais pas senti l’urgence de mener le combat sur le terrain, je serais devenue scientifique. C’est mon premier amour. Un phare sans être un dogme. (...)
La décision politique devrait être davantage éclairée par l’état des connaissances rationnelles et des doutes. Un jour, le biologiste marin au CNRS Lorenzo Bramanti m’a dit : « Arrête de me demander des réponses. La science, c’est d’abord des questions. » Il a raison et c’est même pour cela que la science est un antidote aux postures dans lesquelles les responsables politiques sont parfois enfermés.
Aujourd’hui, on voit bien que tout est organisé pour mettre à distance les citoyens, comme s’ils n’étaient pas capables de comprendre. Le meilleur exemple pour sentir ce mépris de classe, c’est celui de la dette. (...)
Est-ce, selon vous, la raison du succès de la pétition contre la loi Duplomb, qui a dépassé les 2 millions de signataires ?
Exactement. Pour une fois, nous étions audibles face aux leçons que prétendent nous donner les types de la FNSEA qui ne sont pas vraiment agriculteurs mais des gestionnaires d’entreprise en costume. Ce mouvement contre la loi Duplomb a fait la démonstration que l’écologie, ce n’est pas juste de faire attention aux arbres, mais qu’elle parle dans le présent, dans nos territoires, dans nos corps.
C’est pourquoi j’ai envie de lancer un mouvement qui traite spécifiquement de la santé environnementale avec des scientifiques et des personnes qui subissent les pollutions. Les agriculteurs sont en première ligne du réchauffement climatique et de l’énorme scandale de la pollution chimique. (...)
Ces dernières années, les principaux succès des organisations écologistes résident dans des victoires juridiques : Notre affaire à tous, Justice pour le vivant, censure partielle de la loi Duplomb, recours contre les méga-bassines… Qu’est-ce que cela dit de l’état du mouvement pour le climat ?
On ne peut pas réduire ces victoires à des victoires purement juridiques. Si elles arrivent, c’est parce qu’un mouvement social les a construites longtemps en avance, y compris avec des défaites. Le droit est un outil mais il n’est pas le seul. Le principe d’un mouvement, c’est justement d’être en mouvement (...)
Dans l’éternel clivage entre écologie radicale et écologie rassembleuse, où vous situez-vous ?
Je ne pense pas qu’il faille à tout prix le rassemblement. Ne soyons pas naïfs et surtout ne mentons pas aux gens : il y a des choix à faire. La transition ne sera pas bénéfique à tout le monde et non, à la fin, on ne fera pas la ronde en se tenant par la main. Je considère qu’un milliardaire a raison, depuis son point de vue, d’être anti-écolo, car ce que nous proposons va à l’encontre de ses intérêts.
Ils ne vivront pas mieux puisque je veux les contraindre à ne plus avoir de yacht, à ne plus prendre leur jet privé et même à payer au moins 2 % de leur patrimoine avec la taxe Zucman. Ils doivent participer à l’effort de guerre climatique. C’est une lutte des classes. Il faut arrêter d’avoir peur de faire peur. Je plaide pour une approche médicale du sujet. D’abord, le constat et, ensuite, les différents chemins qu’il est possible d’emprunter. (...)
J’ai immensément confiance dans l’intelligence des citoyens. Pour répondre à ces sujets clivants, tout doit se faire par la voie démocratique. Mais c’est cet espace de discussion qu’il manque aujourd’hui. (...)
e peux dire que la vision que je porte de l’écologie est anticapitaliste.
Mon écologie est forcément sociale, contre l’accumulation des ressources par quelques-uns au détriment de la survie des autres. Mon écologie ne laisse pas mourir les migrants dans la Méditerranée pendant qu’on sauve des dauphins. Elle est aussi engagée contre le génocide à Gaza. (...)
Ces luttes partagent la même empathie inconditionnelle qui est le dernier ressort de notre humanité. Des milliers d’enfants meurent. Une famine se déroule devant nos yeux. En plus d’un génocide, Israël commet un écocide massif puisqu’il ne reste que 5 % des terres gazaouies cultivables, le reste étant pollué pour des décennies. Il n’y a aucune question à se poser : quand quelqu’un se noie devant toi, tu plonges pour le sauver. (...)
Je ne veux pas qu’on dise que l’écologie est une affaire de jeunes, qu’il faut attendre leur arrivée au pouvoir pour que ça aille mieux.
Chez les jeunes aussi, le climatoscepticisme explose tout comme la surconsommation. Je ne crois plus au sens de l’histoire, car divers exemples montrent que les retours en arrière sont possibles, comme aux États-Unis où des femmes ont été privées du droit d’avorter. Les réactionnaires sont puissants et organisés : lorsqu’ils prennent le pouvoir, ils ne le rendent pas. (...)
À l’époque, devant les larmes de Laurent Fabius, je m’étais dit qu’enfin les adultes prenaient les choses à bras-le-corps. Mais c’est une faillite totale ! COP après COP, les lobbys – de la pétrochimie notamment – sont venus phagocyter la décision publique : je veux le montrer. Je me rendrai aussi au sommet des peuples en soutien aux autochtones d’Amazonie et aux activistes brésiliens qui sont parmi les plus menacés sur la planète. (...)
j’espère que nous oserons continuer à bâtir des alliances que beaucoup jugent improbables, entre écologistes et agriculteurs ou entre écologistes et syndicalistes. C’est toujours le bon moment pour la convergence des luttes. (...)