Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Charlotte Puiseux : l’antivalidisme est « utile pour l’ensemble de la société »
#paralympiques2024 #accessibilite #handicap #validisme
Article mis en ligne le 13 septembre 2024
dernière modification le 10 septembre 2024

L’autrice du livre « De chair et de fer » trace quelques pistes, à l’issue des Jeux paralympiques, pour une société lucide sur les oppressions quotidiennes que continuent de vivre les personnes handicapées.

Charlotte Puiseux, psychologue clinicienne et docteure en philosophie, a publié De chair et de fer. Vivre et lutter dans une société validiste (La Découverte, 2022), essai personnel et politique sur le handicap. Cette militante est également spécialiste du mouvement Crip, un mouvement de personnes handicapées s’inspirant des théories et luttes queer, né aux États-Unis et en Grande-Bretagne il y a une vingtaine d’années.

En France, elle fait partie de celles et ceux qui ont participé à populariser la notion de validisme, ainsi qu’à alimenter la critique d’une société où l’inclusion ferait office de vœu pieux. Charlotte Puiseux revient pour Mediapart sur la séquence paralympique, grand-messe sportive qui reste largement symbolique, dans un monde qui continue de rejeter le handicap aux marges. (...)

Charlotte Puiseux : Les compétitions comme les Jeux olympiques s’inscrivent dans une société capitaliste qui cherche à pousser les corps à l’extrême, ne valorise en général que les plus rentables. Le paradoxe réside dans le fait que les minorités (handi mais pas uniquement) y gagnent quand même un espace de visibilité et d’existence. Cet espace est contrôlé et a ses limites, car sinon le système dominant s’écroulerait, mais il permet aux personnes dominantes de se présenter comme « tolérantes ». Les Jeux paralympiques de Paris 2024 sont exactement le reflet de ça.

Cependant, je pense qu’il peut être utile de se saisir de cette visibilité qui nous est offerte, non pas, bien sûr, pour renforcer les préjugés qu’on subit comme la « super-héroïsation », mais pour dénoncer le validisme systémique de la société, écouter les para-athlètes qui expliquent comment ielles vivent ce validisme dans leur pratique sportive et utiliser les messages d’inclusion qui ont été répétés par les dirigeants pour leur rappeler que cette inclusion ne s’arrête pas après la cérémonie de clôture (...)

Pour accueillir au mieux les JO, c’était normal que les lieux historiques s’adaptent aux contraintes actuelles, qu’ils se transforment. Mais nous, militants antivalidistes, nous réclamons cette adaptation depuis des années ! Or le discours qu’on nous renvoie toujours, et pas que pour le métro parisien, c’est qu’on ne peut pas toucher au patrimoine, qui doit rester intact, inchangé… (...)

Cela reflète totalement le double discours auquel nous sommes confrontés. Il n’y a pas d’impossibilité en soi, technique, mais un manque de volonté politique. Là, pour un évènement planétaire, médiatique, où l’image de Paris est en jeu, tout devient possible. Mais pour l’accessibilité du quotidien, l’accès aux transports ou à la culture, l’école, ça ne l’est plus. (...)

chaque rentrée scolaire est une épreuve pour chaque personne en situation de handicap : on peut parler des AESH [accompagnatrices d’élèves en situation de handicap – ndlr], qui sont peut-être le problème majeur chaque année de la rentrée scolaire.

C’est en réalité toujours le même schéma : dans une société validiste, ce travail n’est pas valorisé, on les laisse exercer dans une grande précarité. C’est aussi le cas des auxiliaires de vie non scolaire, de l’aide à la personne… Cela en dit long sur la considération de la société sur ces sujets. On évoque le manque d’argent, ou à nouveau des arguments techniques, mais il s’agit là encore d’un manque de volonté politique. On pourrait trouver des moyens, en donnant moins d’argent aux institutions spécialisées par exemple. L’ONU somme la France de trouver des solutions alternatives mais elle n’est pas entendue. (...)

Le Téléthon a pour but de récolter des fonds donc de faire s’apitoyer les gens. L’émission est coincée dans ce système-là. À l’inverse, les paralympiques, c’est le handicap héroïsé, mais aussi le handicap vu comme un miroir de la validité. Toute la complexité tient dans ce « presque » : il s’agit de faire croire que les athlètes pourraient « presque » faire comme les valides, « presque » atteindre les normes imposées par les valides. Ce qui n’est bien sûr pas le cas. (...)

la compétition sportive et notamment les JO et les JP sont basés sur une catégorisation très stricte qui pour moi est totalement validiste, ou sexiste en l’occurrence, car ces catégories servent avant tout à appuyer les dominations. Les athlètes paralympiques ne doivent pas concourir avec des athlètes valides, et quand des athlètes ont pu brouiller les catégories, cela crée des scandales. Si cela se produisait, cela détruirait le système validiste qui repose sur la performance, sur le fait de pousser son corps au maximum. Un système où la validité est exaltée, et où elle doit rester maîtresse du jeu. (...)

On peut s’attendre à ce que la gauche, par son histoire, comprenne ce système de domination, mais dans les faits, cela reste très méconnu et minorisé. Aujourd’hui, le milieu antivalidiste politisé avance par lui-même, mais avec difficulté. Nous vivons, en tant que personnes handicapées, des oppressions très fortes, que l’on reproduit parfois malgré soi. La politique est un monde violent, ce n’est pas pour rien que la majorité du personnel politique se compose encore essentiellement d’hommes blancs, et valides.