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France24
COP28 : des Émirats arabes unis pris dans leurs contradictions sur le climat
#greenwashing #COP28 #Dubaï
Article mis en ligne le 2 décembre 2023
dernière modification le 30 novembre 2023

Peut-on être président d’une COP tout en dirigeant l’une des plus grandes entreprises pétrolières de la planète ? En désignant Sultan al-Jaber comme président de la COP28, les Émirats arabes unis avaient provoqué l’ire des défenseurs de l’environnement. Pourtant, à l’ouverture de cette nouvelle session de négociations sur le climat, l’ambition affichée par les organisateurs est claire : cette COP doit être historique, y compris sur la question des énergies fossiles.

La COP28 s’est ouverte jeudi 30 novembre à Dubaï, aux Émirats arabes unis. Pendant deux semaines, aux portes du désert, le site de l’Exposition universelle de 2020 devient le cœur battant de la diplomatie climatique. Au total, plus de 70 000 personnes sont attendues, une affluence inédite.

Pourtant, depuis plusieurs mois, le choix des Émirats – une pétromonarchie qui se classe au rang de septième producteur mondial de pétrole – comme pays hôte de ce grand raout interroge et inquiète les défenseurs de l’environnement alors que la combustion de pétrole, gaz ou charbon représente plus de 70 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Une inquiétude renforcée par l’annonce, en janvier, de la nomination de Sultan al-Jaber, PDG de la compagnie nationale pétrolière Abu Dhabi National Oil Company (Adnoc) comme président de la COP.

C’est ainsi la première fois que le président d’un groupe pétrolier exerce une telle responsabilité dans les négociations sur le climat. (...)

Des énergies fossiles aux énergies renouvelables

Pourtant, du côté des Émirats arabes unis, l’ambition affichée est claire : faire de cette COP28 une COP aussi historique que celle de Paris en 2015, et s’afficher ainsi comme un bon élève du climat dans la région.

Si le pays est le sixième plus gros émetteurs de CO2 par habitant de la planète, avec 22 tonnes par an et par personne – se plaçant juste derrière le Qatar, le Koweït et Brunei selon le Global Carbon Project –, il tente depuis plusieurs années de se défaire de son image de gros pollueur. Il était ainsi, par exemple, le premier pays du Golfe à annoncer vouloir atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Une promesse qui, pour être tenue, nécessiterait de descendre à deux tonnes d’émission de gaz à effet de serre par personne.

Et malgré les polémiques qu’a suscité sa nomination, Sultan Ahmed al-Jaber apparaissait comme le candidat idéal pour porter les ambitions d’Abu Dhabi. À 50 ans, c’est un habitué des négociations climatiques : envoyé spécial des Émirats pour le climat, un poste qu’il avait déjà occupé entre 2010 et 2016, il était à la tête de la délégation de son pays à la COP26 à Glasgow, et à la COP27 à Charm el-Cheikh. En 2009, il avait aussi été nommé au sein du groupe consultatif sur l’énergie et le changement climatique à l’ONU par le secrétaire général de l’époque, Ban Ki-moon.

Mais surtout, il est le visage du développement des énergies renouvelables dans le pays. Il a fondé en 2006 Masdar, une entreprise spécialisée sur la question, à l’initiative, notamment, de Masdar City, une zone urbaine verte située à Abu Dhabi. Une ville qui accueille, par ailleurs, depuis quelques années le siège de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena). En 2012, ce projet faramineux a valu à Sultan Ahmed al-Jaber d’être désigné "champion de la Terre" par l’ONU dans la catégorie "vision entrepreneuriale". (...)

Le réchauffement climatique est pourtant un sujet particulièrement important pour ce pays désertique : selon une étude publiée en 2021, certaines régions du Golfe, où les températures frôlent parfois les 50°C en été, pourraient devenir invivables d’ici la fin du siècle.
Un rayonnement international

"Au-delà de la question écologique, l’enjeu pour le gouvernement émirati est avant tout financier. C’est aussi une occasion d’accroître le rayonnement international du pays", continue Alexandre Kazerouni. "D’ailleurs, ce développement des énergies renouvelables n’a pas commencé n’importe quand : il a été concomitant avec l’installation du Louvre Abu Dhabi, de l’annexe de l’université française de la Sorbonne et du circuit international de Formule 1. De la culture, de l’enseignement, du sport et de l’environnement... Autant de leviers pour rapprocher le pays de ses partenaires occidentaux malgré les divergences politiques."

Et le pari semble en bonne voie de réussir. Selon le quotidien Les Échos, Masdar, qui s’est depuis imposé comme le fer de lance de la stratégie des Émirats pour leur transition énergétique, opère aujourd’hui dans une quarantaine de pays pour des projets d’une valeur totale de plus de 18 milliards d’euros. (...)

En juin 2022, le Wall Street Journal notait ainsi le paradoxe en cours dans la pétromonarchie, qui reste le septième producteur mondial de pétrole. "L’investisseur le plus en vogue dans les énergies renouvelables est un grand producteur de pétrole", titrait-il.
"Le futur arrive, mais il n’est pas encore là"

Sultan Ahmed al-Jaber symbolise ainsi toute la contradiction en œuvre dans ce pays, qui enclenche une transition énergétique mais qui reste très dépendant des énergies fossiles. (...)

"Oui, les énergies renouvelables se développent rapidement. Mais le gaz et le pétrole restent les plus grandes énergies du mix énergétique et le seront pendant des décennies. Le futur arrive, mais il n’est pas encore là. On ne peut pas tout simplement débrancher le système d’aujourd’hui", insistait-il.

À l’approche de la COP, Sultan al-Jaber a cependant fait évoluer son discours, parvenant progressivement si ce n’est à convaincre, au minimum à améliorer son image auprès d’une partie de ses détracteurs. (...)

Reste à savoir s’il saura manœuvrer pour faire adopter un texte ambitieux par les près de 200 États participant à la COP28. Des dizaines de pays ont déjà annoncé vouloir y faire figurer un appel explicite à réduire les fossiles, ce qu’aucune COP n’a jamais réussi.

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 (Reporterre)
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Aller à Dubaï, aux Émirats arabes unis, c’est entrer dans le monde de l’industrie pétrolière, de la bagnole triomphante, de la débauche énergétique. Notre journaliste raconte son arrivée dans la cité hôtesse de la COP28.

De tout son long, le littoral iranien est illuminé par ces gigantesques flambeaux où les pétroliers consument le gaz qu’ils ont séparé du pétrole. Bienvenue dans les pays de l’or noir.

À mesure que l’Airbus amorce sa descente, les torchères se font plus brillantes. En voilà même une sacrée équipe : nous survolons probablement la raffinerie de l’île de la perle perdue, la septième plus importante installation de ce type en Iran.
Concert de spots multicolores

Au-dessus du golfe arabo-persique, à quelques dizaines de milles nautiques de notre destination, une cinquantaine de navires de pêche sont en action. Vestiges de ce qui fut l’une des activités les plus prospères des Émirats arabes unis, ils illuminent de leurs lamparos les eaux noires, bien moins fertiles qu’avant l’exploitation du pétrole.

Le gros porteur ralentit sa course. Et déjà apparaît Dubaï. Très vite, se dessinent les façades profilées des gratte-ciel. Contrastant avec la lumière vive et jaune de la mégapole, les nombreuses autoroutes urbaines (embouteillées en ce début de soirée) balafrent la cité de leur lame rouge ou blanche selon l’axe de la circulation.

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Le piéton n’existe pas (...)

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