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Mediapart
En Seine-Saint-Denis, les gens du voyage étouffent sous les jets privés
#gensduVoyage #SeineSaintDenis #canicule #rechauffementclimatique
Article mis en ligne le 2 juillet 2025
dernière modification le 1er juillet 2025

Sur l’aire d’accueil d’Aulnay-sous-Bois, entourées par une autoroute et l’aéroport du Bourget, une quinzaine de familles suffoquent depuis que le pays est frappé par la canicule. Elles vivent reléguées dans une zone extrêmement polluée en pleine vague de chaleur.

« Cette fournaise ne fait qu’aggraver la pollution. Regardez la poussière accumulée sur ma voiture : je fais des bronchites de deux mois à cause des particules fines », s’emporte Maxime Meyer, 51 ans et les yeux verts perçants.

Sa phrase est à peine finie qu’un jet survole soudain à très basse altitude l’aire d’accueil des gens du voyage dans un terrible vacarme. Pointant le doigt vers l’aéronef, il lâche : « Côté qualité de l’air, c’est chargé ici. »

Depuis dix ans, ce brocanteur qui officie aux puces de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) s’est installé sur sa « dalle » qui se résume à quelques mètres carrés de bitume et à un bloc rudimentaire avec évier, douche et WC. Une quinzaine de familles se sont agglutinées avec voitures et caravanes sur cette langue d’asphalte encastrée entre l’autoroute A1 et une nationale à quatre voies. L’aire d’accueil est par ailleurs accolée à un centre de recyclage de matériaux BTP. Pour couronner le tout, cet environnement délétère est à moins de 1 kilomètre du Bourget, le premier aéroport d’affaires d’Europe. (...)

Lundi 30 juin en fin après-midi, le mercure affiche 36 °C et le bitume est brûlant. Sous un soleil de plomb et sans aucune ombre, des familles ont installé deux piscines gonflables pour que leurs enfants tentent de se rafraîchir.

Élevant la voix pour couvrir le brouhaha des automobiles et un énième avion qui survole le terrain, Émilie Schumaker, 44 ans, témoigne : « Quand on est arrivés ici, mon fils a commencé à avoir de l’asthme. Le médecin nous a dit de partir tout de suite, mais pour aller où ? Toutes les aires d’accueil sont à côté d’une autoroute ou d’une usine. »

Depuis treize mois, elle doit suivre un traitement à base de cortisone « à cause de la pollution » et étouffe chaque jour sous la chaleur accablante de l’épisode caniculaire en cours. « Entre la poussière et le bruit, c’est compliqué de dormir la porte ouverte dans nos caravanes », détaille la Voyageuse.

« Aire de la honte » (...)

Alors que les vagues de chaleur devraient être deux fois plus nombreuses d’ici à 2050, le Haut Conseil pour le climat, instance indépendante placée auprès des services du premier ministre, a souligné l’an dernier que les inégalités d’exposition face au dérèglement du climat risquaient de « s’aggraver » pour les plus précaires.

Parmi ceux-ci figurent les gens du voyage, une communauté qui incarne plus 50 000 personnes rien qu’en Île-de-France. En Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de la France métropolitaine, 78 % des aires d’accueil des Voyageurs et Voyageuses sont soumises à des nuisances environnementales. Délégué général de l’Association nationale des gens du voyage citoyens, William Acker estime que le terrain d’Aulnay-sous-Bois est une « aire de la honte, un lieu de relégation à tout point de vue ». (...)

En mars, Agnès Pannier-Runacher, ministre de l’écologie, a présenté le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc). Cette feuille de route a pour objectif d’adapter la France à + 4 °C de réchauffement d’ici à la fin du siècle. Sur 388 pages, les gens du voyage ne sont mentionnés qu’une seule fois, et ce, pour préciser que durant les canicules, « des distributions d’eau sont fréquemment organisées » dans les aires d’accueil.

« Des bouteilles d’eau données pendant les vagues de chaleur ? On n’a jamais vu ça ici, s’étrangle Antoine Winterstein. On se drive tout seuls nous, on est en autogestion. »

En fin de journée, Météo France a annoncé classer la Seine-Saint-Denis en vigilance rouge pour canicule. Durant les deux nuits à venir, la température devrait stagner à 23 °C environ. À la vue d’un énième jet privé passant au-dessus de leurs têtes, Antoine et Annie Winterstein savent bien qu’encore une fois, ils dormiront toutes les fenêtres fermées.