Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Club de Mediapart/Stephanie Lamy Féministe, chargée d’enseignement, chercheuse
Financement de la haine masculiniste : la domination économique et idéologique
#masculinisme
Article mis en ligne le 21 novembre 2024
dernière modification le 18 novembre 2024

Dans « La Terreur Masculiniste », j’aborde, sans l’élargir, l’aspect économique des milieux de radicalisation masculiniste. Loin d’être de simples « arnaqueurs », l’argent structure ces milieux tout autant que leur extrémisme violent. Dessiner les contours et sonder les ressorts de ce volet de la guerre multispectre menée contre les femmes, enfants et les minorités sexuelles, est donc important.

La domination économique constitue l’un des piliers fondamentaux de la domination masculine, en tant qu’outil stratégique permettant aux hommes de maintenir des rapports de pouvoir inégaux dans la société. En contrôlant les ressources financières, historiquement, ils ont pu imposer leur autorité dans les sphères privées et publiques, consolidant ainsi des structures patriarcales. Dans le contexte de la radicalisation masculiniste, cette logique économique est exploitée pour contrôler les femmes (et les enfants), et de promouvoir des stéréotypes sexistes, notamment l’idée selon laquelle l’homme est le pourvoyeur unique du foyer et le garant de la sécurité, y compris économique, de sa famille. La réussite financière devient un marqueur de virilité pour des jeunes hommes en quête de partenaires, et l’affranchissement des obligations fiscales devient un acte de rébellion contre la solidarité nationale, qu’ils estiment ne plus servir les intérêts de la classe sociale des hommes. (...)

1. L’argent comme outil de domination des femmes et des enfants : financement d’un système de terreur économique (...)

des associations comme SOS Papa mobilisent des fonds pour « défendre » les intérêts des hommes dans des contextes judiciaires, justifiant leur démarche par un discours de victimisation masculine. (...)

Ces avocats conseillent des stratégies de dissimulation d’actifs, en recourant à des techniques de non-transparence financière, telles que l’usage de la cryptomonnaie, permettant ainsi aux pères de se soustraire à leurs obligations de pension alimentaire. (...)

Le modèle économique enseigné par Andrew Tate à travers des cours en ligne intitulés PhD (Pimping Hoes Degree), accessibles via sa “War Room” (dont l’accès coûte environ 8 000 dollars), repose sur la coercition et l’exploitation des femmes, les manipulant pour les amener à accepter, voire à être forcées, de travailler en tant que camgirls, avant de leur soutirer leurs gains. Il est actuellement poursuivi en Roumanie pour traite des êtres humains, viol, y compris sur mineurs. L’étendue de la diffusion de cette “expertise” axé sur la domination physique, psychologique et économique des femmes reste incertaine, mais en France, au moins un individu semble avoir mis en œuvre ces techniques. (...)

Dans le rapport d’activité de la MIVILUDES, il est décrit comme promouvant un mode de vie nomade capitaliste dans des paradis fiscaux tout en faisant l’apologie du proxénétisme et de la prostitution. Corda aurait développé un programme appelé “Domination By Love” (DBL), et mis en ligne des tutoriels, dont un intitulé “Comment étrangler sa copine”, tout en menant une activité de vente multiniveau, encourageant les jeunes hommes à gagner de l’argent rapidement, y compris en “gérant des camgirls”. Il reproduit ainsi de manière exacte le modèle économique d’Andrew Tate. (...)

Par ailleurs, les mouvances masculinistes militent pour une réduction drastique des financements alloués à la lutte contre les violences faites aux femmes, un domaine déjà chroniquement sous-financé. Ces groupes cherchent activement à influencer les décisions budgétaires en menant un véritable normfare (subversion des normes pour contraindre l’ennemie), par exemple, en promeuvent le réorientement de ces fonds vers des initiatives favorables aux thèses masculinistes, telles que la formation des magistrats aux pseudo-théories de « l’aliénation parentale » ou des « faux souvenirs induits ». (...)

2. Renforcement du sentiment de déclassement social : une industrie de la radicalisation violente

L’industrie des produits et services destinés à "viriliser" les hommes est en plein essor, que ce soit à travers des livres, des stages, des coachings, des retraites, des produits ou du merchandising. Il est impossible d’estimer précisément la part de ces produits et services dans des secteurs tels que le "self-help", la nutrition, le fitness, les cryptomonnaies, etc. Cependant, tous sont commercialisés sur la base de stéréotypes sexistes (...)

Des contenus outranciers sont diffusés pour attirer l’attention des candidats à la radicalisation et leur production participe à l’amplification de la propagande masculiniste. Des collaborations ou clashs sont organisés par des prédicateurs masculinistes pour gagner en parts de marché de l’attention, et ainsi engranger des bénéfices par la monétisation de leurs contenus violemment sexistes et misogynes.

Au-delà d’être productrice de propagande masculiniste, ces milieux de radicalisation sont aussi des lieux d’aguerrissement et de désensibilisation à la violence masculine. (...)

3. Ressource de structuration des réseaux : l’influence des MGTOW et l’économie des « boys clubs » (...)

Ces espaces, loin d’être de simples lieux de camaraderie, deviennent de véritables incubateurs de pratiques économiques, sociales et culturelles visant à maintenir les ressources – qu’elles soient financières, sociales ou symboliques – entre les mains des hommes. Le phénomène, qui s’apparente à une forme de séparatisme économique genré, se construit sur une logique de soutien mutuel entre hommes, visant à les protéger des contraintes imposées par les sociétés modernes et de ses régulations jugées oppressives, notamment celles liées à l’égalité des sexes et aux responsabilités fiscales. (...)

4. Evasion fiscale et normative (...)

Dans certains milieux de radicalisation masculiniste, l’évasion fiscale apparaît comme un pilier essentiel, mettant en lumière la nature transnationale de ces réseaux. Par la monétisation de contenus sur des plateformes numériques, la duplication de modèles économiques comme celui d’Andrew Tate, ou encore la structuration excluante des réseaux économiques, ces milieux structurent leur économie autour de la domination masculine. (...)

Lutter contre le financement de la haine.

Si la lutte contre le financement du terrorisme a permis de désorganiser des réseaux extrémistes en traquant les flux financiers, il est désormais urgent d’appliquer ces mêmes stratégies aux groupes masculinistes radicaux. En France et à l’international, une surveillance renforcée des flux financiers liés à ces mouvements permettrait de désorganiser leur structure et d’affaiblir les leaders idéologiques. (...)

À l’instar des mouvements terroristes, priver ces groupes de leurs ressources financières serait une étape décisive pour détruire leur pouvoir et protéger les valeurs démocratiques et égalitaires de nos sociétés. En bloquant les flux financiers qui nourrissent ces idéologies radicales, nous limiterions leur expansion et leur capacité à corrompre les jeunes générations. (...)