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Frontex a délivré illégalement les données de 13 000 migrants et militants aux polices européennes, selon une enquête
#Frontex #migrants #immigration
Article mis en ligne le 9 juillet 2025

Une enquête de trois médias européens, dont Le Monde, révèle que l’agence européenne de surveillance des frontières a collecté les données de centaines de milliers de personnes, migrantes et militantes, et les a transférées à Europol, l’agence de coopération policière entre États membres. Des pratiques illégales, épinglées dans un rapport du Contrôleur européen de la protection des données.

L’agence européenne de surveillance des frontières est une nouvelle fois dans la tourmente. Selon une enquête de trois médias européens – Le Monde en France, El País en Espagne et Solomon en Grèce – publiée lundi 7 juillet, Frontex a collecté de manière illégale ces dernières années les données personnelles de plus de 13 000 personnes, migrants et militants. Ces informations ont ensuite été stockées dans des fichiers de renseignement et transmis à Europol, l’agence de coopération policière entre États membres de l’Union européenne (UE).

En décembre 2024, le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) a rapporté qu’entre 2019 et 2023, Frontex avait "illicitement" transféré à Europol les données personnelles d’exilés et de défenseurs des droits.
Des "entretiens de débriefing" qualifiées d’"interrogatoires secrets"

Ces données ont été récoltées lors des "entretiens de débriefing" menés par l’agence, que certains spécialistes qualifient d’"interrogatoires secrets". Dans les pays d’arrivées des exilés, sur les côtes grecques ou espagnoles par exemple, les agents de Frontex – plus de 800 déployés dans ce cadre en 2024 – posent un certain nombre de questions aux nouveaux arrivants portant sur les motifs de leur voyage, leur parcours ou encore le mode opératoire des réseaux de passeurs. (...)

Ces entretiens, réalisés en coordination avec les autorités policières nationales, sont supposés être volontaires mais "en raison de la vulnérabilité des personnes interrogées et de la manière dont sont formulées les questions, le caractère volontaire ne peut pas toujours être garanti", avait jugé le CEPD dans son rapport. "Il n’existe aucune trace de ces entretiens, car il n’existe aucun formulaire de consentement signé", a ajouté à El País Fran Morenilla, un avocat espagnol en droit des étrangers.

En outre selon le CEPD, l’agence européenne n’a aucun mandat légal pour collecter de manière proactive "quelque information que ce soit sur des suspects de crimes transfrontaliers". Or, un autre rapport du contrôleur européen, publié en mai 2023, révélait que Frontex avait pris l’habitude d’étiqueter comme "suspecte" toute personne mentionnée lors d’un de ces entretiens, y compris "des personnes que l’interviewé aurait vues, entendues, sans pouvoir vérifier la crédibilité du nom donné, ou qu’il mentionne sous la peur ou dans l’espoir d’obtenir des avantages", indique encore l’enquête des trois médias.

Ces témoignages sont ensuite utilisés par les salariés de Frontex pour réunir un maximum de renseignements sur les personnes soupçonnées d’aide à l’immigration irrégulière. "Les entretiens de débriefing font pleinement partie d’un système qui envoie des gens en prison", estime au Monde Daniel Arencibia, avocat espagnol spécialisé dans les affaires de trafic dans les îles Canaries.
"Toute ma vie était dans ce dossier de police"

D’après le rapport final du CEPD, obtenu par Le Monde, entre 2020 et 2022, Frontex "a envoyé 4 397 rapports de débriefing – contenant notamment des noms, numéros de téléphone, identifiants Facebook", affirme le quotidien. Avec ces informations, Europol a traité les données personnelles de 937 "suspects" et produit 875 "rapports de renseignement".

Dans son enquête, le CEPD s’est inquiété des "conséquences profondes" de ces transferts de données pour les personnes innocentes, qui risquent "d’être à tort associées à une activité criminelle à l’échelle de l’UE, avec tous les dommages possibles pour leur vie personnelle et familiale, leur liberté de circulation et leur emploi".

Ainsi, plusieurs personnalités de la société civile figurent sur ce fichier, notamment Tommy Olsen, un militant norvégien à la tête de l’ONG Aegean Boat Report ou encore Helena Maleno, fondatrice de l’ONG espagnole Caminando Fronteras. (...)

Quelques jours après la parution de l’enquête du CEPD, Frontex a suspendu les transferts automatiques de données avec Europol. Désormais, les informations personnelles ne sont envoyées à l’agence européenne de coopération policière que sur demandes "spécifiques et justifiées". "Sur les 18 demandes soumises avant mai 2025, seules quatre ont été acceptées par Frontex", rapporte Le Monde.