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"Ici les vaches sont très différentes" : de l’Ouganda à une ferme de l’Allier, l’intégration d’un réfugié congolais dans un élevage français
#agriculture #migrants #exiles #immigration
Article mis en ligne le 17 août 2025
dernière modification le 12 août 2025

S’intégrer par l’agriculture (2/3). InfoMigrants est allé à la rencontre d’exilés qui ont trouvé dans l’agriculture une voie d’épanouissement en France. Dans l’Allier, Richard Mugabe a été embauché en CDI dans une exploitation laitière. Le réfugié congolais et son patron se sont rencontrés grâce à l’association Terre 2 Cultures.

Richard Mugabe a du lait qui lui coule dans les veines. Ce Congolais, originaire du Nord-Kivu, dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), assure que de sa naissance à ses sept ans il ne s’est nourri que de lait de vache. Des Watusi – une race typique d’Afrique de l’est - à la robe sombre et aux imposantes cornes dressées vers le ciel qu’élevaient ses parents. (...)

La ferme des Rocs est écrasée de chaleur ce mercredi 25 juin et les gigantesques ventilateurs accrochés au plafond de l’étable brassent un air chaud au-dessus des ruminants. Au travail depuis 5h30, Richard - cotte de travail vert bouteille sur le dos et bottes en caoutchouc aux pieds - a déjà fait la première traite. Vers 10h, il quitte généralement la ferme pour quelques heures de pause et reprend vers 15h pour finir les tâches de la journée et faire la traite du soir. (...)

Pénurie de main d’œuvre

Depuis juillet 2021, le réfugié congolais a rejoint l’équipe de salariés de la ferme de Nicolas Gayte, à Chantelle, à une trentaine de kilomètres de Vichy. Avec sa mère et son frère, l’agriculteur a repris la ferme créée par son grand-père. Ils y font de l’élevage laitier et de la culture de céréales destinées à leurs animaux et à la vente.

Le métier est difficile. Les vaches doivent être traites deux fois par jour, 365 jours par an. À cela s’ajoute le nettoyage de la station de traite, l’entretien et le paillage des lieux de vie des animaux, les vaccinations, l’alimentation des animaux, la culture des céréales... Malgré l’assistance des machines, les tâches physiques sont nombreuses et exposent les agriculteurs aux aléas climatiques.

En 2019, l’Insee avait établi que les agriculteurs travaillaient en moyenne 55 heures par semaine, contre 37 heures pour l’ensemble des travailleurs.

Pour alléger cette charge de travail, de nombreux agriculteurs cherchent de la main d’œuvre. Mais celle-ci se fait de plus en plus rare.

Selon l’enquête Besoins en Main-d’Œuvre 2025 de France travail (ex-Pôle emploi), il existe 16 920 projets de recrutements en agriculture dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, soit au moins autant de postes à pourvoir. En Nouvelle Aquitaine, le nombre s’élève à plus de 44 000 et à l’échelle nationale ce sont plus de 200 000 projets de recrutement qui ont été enregistrés en agriculture.

Par ailleurs, la nouvelle loi d’orientation agricole, entrée en vigueur en avril 2025, prévoit d’"augmenter le nombre d’apprenants dans les formations agricoles et agroalimentaires" de 30 % par rapport à 2022.

"Aujourd’hui, c’est très dur de trouver des jeunes, notamment pour conduire les engins agricoles l’été", témoigne Nicolas Gayte. "Il y a une dizaine d’années, entre agriculteurs, on parlait des problèmes techniques qu’on rencontrait dans notre métier, aujourd’hui c’est toujours de problèmes de main d’œuvre dont on parle", ajoute l’éleveur qui emploie cinq salariés, dont un apprenti.

Et la situation va s’aggraver car la moitié des agriculteurs français devraient prendre leur retraite d’ici 5 à 10 ans, selon les chiffres de l’Insee. En 2019, l’institut avançait que 55 % des agriculteurs avaient 50 ans ou plus. (...)

Pour Nicolas Gayte, la solution à cette perte de main d’œuvre passerait par plus de robotisation et un plus fort recours à la main d’œuvre étrangère. Dans la fraîcheur de la vieille maison du corps de ferme, à l’abri des 40 degrés extérieurs, il raconte sa rencontre avec Richard et son recrutement. "En 2021, un copain éleveur m’a parlé de l’association Terre 2 Cultures. Lui-même a embauché des réfugiés afghans et ça se passe super bien. Je les ai contactés et au bout de deux mois environ ils m’ont proposé Richard."

"Il est arrivé à Vichy en train en juillet. Je l’ai formé à la traite et ça s’est tout de suite très bien passé. En plus d’être ponctuel, poli et sympa, il a véritablement la fibre d’un éleveur. Il voit tout de suite si une vache ne va pas bien", s’enthousiasme l’agriculteur.
Fuir la guerre

À l’époque, le Congolais vit à Paris. Arrivé deux ans auparavant en France, il vient d’obtenir le statut de réfugié et suit des cours de français. "Je ne me sentais pas très bien à Paris alors j’ai demandé à mon professeur de français s’il connaissait une association pour faire de l’agriculture et il m’a parlé de Terre 2 Cultures", raconte-t-il.

À Paris, Richard souffre du bruit qui aggrave son état de santé. Depuis des années, de terribles maux de tête et des cauchemars l’empêchent de dormir. Le réfugié a des réminiscences des traumatismes vécus lors de sa fuite de RDC en 1996 alors qu’il n’avait que 10 ans.

"Dans le Nord-Kivu, il y a eu une guerre en 1996. Mes parents et ma petite sœur ont été massacrés devant moi. Moi, ma deuxième sœur et mes frères avons dû fuir tous seuls", raconte Richard encore très ému. (...)

Aujourd’hui, Richard est encore hanté par la violence dont il a été témoin enfant. "C’est tellement dur de ne pas avoir de famille. J’essaye de me persuader qu’aujourd’hui ma famille c’est ma femme et mes filles mais c’est difficile", raconte-t-il.
Les enjeux de la ruralité

À Chantelle, il s’est créé une vie de famille reposante et s’est fait des amis. La ferme est à 5 minutes en voiture de chez lui, la plus petite de ses filles va à la crèche dans le village, la plus grande rejoint son collège en bus le matin. Le dimanche matin, la famille joue au tennis sur les terrains du village avec des amis du coin.

Pourtant, la situation reste précaire. Richard a signé un CDI mais son salaire de 1 500 euros net est faible pour faire vivre toute une famille. Un deuxième salaire aiderait bien les finances familiales. Sa femme suit une formation d’aide à domicile à Vichy mais, faute de permis de conduire, elle risque d’avoir du mal à trouver du travail une fois diplômée. Richard, lui, aimerait pouvoir consulter un psychologue pour évoquer ses traumatismes mais les cabinets les plus proches sont à Vichy et l’essence coûte cher. (...)