
Malgré les bonnes intentions de la direction artistique, la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques a engendré toutes sortes de commentaires validistes sur le registre de « l’inspiration ». Une notion fourre-tout qui contribue à creuser le fossé entre personnes valides et handicapées.
Mercredi soir, devant la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques, certaines ont sorti le bingo. Le point « c’est touchant » est « atteint », signale Elisa Rojas sur X (ex-Twitter), avocate et militante pour les droits des personnes handicapées. « Le point “leçon de vie” n’est pas loin », abonde l’historienne Véronique Servat. « Douze jours pour “changer de regard” ! », taquine Florian Deygas, représentant de APF France handicap.
Ces lieux communs ont été égrainés par les commentateur·ices de la cérémonie, diffusée en direct sur France 2. Au cours de cette célébration place de la Concorde, à Paris, se sont alternés des spectacles de danse, son et lumière et le défilé des 4 400 athlètes venu·es concourir. (...)
Au téléphone, Pierre Lapin soupire. Il a lui aussi commenté la soirée avec humour sur les réseaux sociaux, mais fait part de sa lassitude. « Il faut arrêter cette romantisation », commente l’animateur-streamer, atteint d’une myopathie. « On doit passer par la performance du sport pour être validé par la société, sinon on ne peut juste pas exister », regrette-t-il. « On va valoriser un tétraplégique qui gravit l’Everest… Mais quand on est malade, on s’en fiche de gravir l’Everest si on ne peut pas aller au MacDo ! »
« Ce discours est fatigant », complète Elisa Rojas, contactée par mail. « Les personnes handicapées ne sont évidemment pas des héros, ni quand elles se brossent les dents ni quand elles remportent des médailles. […] Ce sont des expressions creuses, qui viennent individualiser et dépolitiser la question du handicap. Les personnes handicapées n’ont aucune leçon de vie à donner aux personnes valides. […] Par ailleurs, ce n’est pas le regard qu’il faut changer pour mettre fin aux discriminations et aux injustices que vivent les personnes handicapées, mais l’organisation sociale. » (...)
« C’est toute la dichotomie liée au handicap », souligne Amélie Tsaag Valren, doctorante en sciences de l’information et secrétaire de l’association La neurodiversité France, contactée par Mediapart. « Soit d’un côté, le misérabilisme : on va plaindre la personne handicapée sur la base de ce qu’on voit, en se disant “je ne veux pas être comme ça”. Soit on va l’héroïser en fonction de ce qu’elle arrive à faire “malgré le handicap”. »
Cette représentation binaire serait une conséquence de l’invisibilisation des personnes handicapées, particulièrement marquée, selon elle, en France. (...)
« l’handicapé·e reste l’autre qu’on ne connaît pas, qu’on ne voit pas ».
Un effet « loupe » trop ponctuel
Les Jeux paralympiques sont évidemment un extraordinaire coup de projecteur – la cérémonie d’ouverture a été vue par 10,17 millions de téléspectateur·ices, deux fois moins que la cérémonie olympique, mais dix fois plus que celle des paralympiques de 2021 –, mais il est à double tranchant. À l’image du Téléthon, de plus en plus critiqué dans les mouvements antivalidistes, l’événement est trop ponctuel pour permettre de montrer toute la diversité des expériences du handicap. (...)
avoir trois personnes valides pour commenter la cérémonie, c’est un problème. Donner la parole aux concernés, ce serait quand même la base
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Dernier point, et pas des moindres, à avoir choqué lors de cette cérémonie : la grande absence du Covid, qui continue pourtant à circuler dans la population et au village olympique. « On n’a pas vu un seul masque, constate Pierre Lapin, par contre, il y avait 1 500 bénévoles qui entouraient les para-athlètes et leur soufflaient dessus. […] Alors que s’il y a un truc que tu peux faire pour protéger les personnes, c’est ça. Mais bon les masques, ça fait chier les valides. Les masques, c’est pas joli, c’est pas inspirant. »