
Depuis de nombreuses années, le moindre fait divers ou drame avéré impliquant une personne issue ou supposément issue de l’immigration vient embraser la France médiatico-politique. La mort du jeune Nahel, tué par un policier à Nanterre le 27 juin 2023, ou encore le meurtre du jeune Thomas dans la Drôme en novembre de la même année, en sont de parfaites illustrations. Médias avides d’audience et politiciens vautours surgissent sur nos écrans pour surfer sur un climat délétère et souffler sur les braises d’un racisme structurel, notamment au sein de la Police Nationale, que dénoncent par ailleurs l’ONU et de nombreuses ONG. Et voici la terreur du « grand remplacement » réactivée.
Le terme, popularisé en 2010 par Renaud Camus (écrivain et militant politique français d’extrême-droite) a depuis bien cheminé pour finir dans la bouche de la plupart des politiques. Notamment lors de la dernière élection présidentielle en 2022 qui a vu, fait inédit, deux candidatures d’extrême-droite s’affronter pour la course à l’Elysée : celles de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour.
Avec sa proosition de créer un ministère de la « remigration », ce dernier, longtemps chroniqueur sur Cnews, épouse alors frontalement la thèse de Renaud Camus. Pour Eric Zemmour et ses soutiens, s’il y a concentration de personnes issues ou perçues comme issues de l’immigration sur un même territoire, ce n’est pas dû à une ségrégation organisée par des politiques sociales et urbanistiques mais plutôt la faute à un projet politique conscient desdites personnes « racisées ». Emprises de communautarisme (évidemment musulman) elles comploteraient, depuis les barres HLM des banlieues défavorisées, le remplacement de la population français « blanche et chrétienne ». (...)
Pour schématiser, là où la droite voit des étrangers (et des problèmes) partout, la gauche n’en voit nulle part. Ou presque. « Il y a des endroits où il y a des regroupements qui se sont faits, génération après génération, et qui donnent le sentiment que l’on est dans une forme de “colonisation à l’envers” » déclarait le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, en 2018. Avouant (à raison) à un auditeur de France Inter que la gauche avait « souvent évité la question pour ne pas avoir à y répondre » (...)
Le « grand remplacement »… des pauvres
Mais si le « grand remplacement » de Renaud Camus n’existe pas, un autre grand remplacement a bien lieu. Celui des pauvres par des populations plus aisées. Extrêmement visible, ce processus avance implacablement sur les quartiers populaires où une certaine « mixité sociale » existe encore, remplaçant les bistrots, boutiques et brasseries populaires par des enseignes internationales d’alimentation bio hors de prix, et les logements bons marchés par des lofts et appartements cosy inabordables. Pour finir par créer de véritables ghettos de néo-bourgeois. C’est ce qu’on appelle « gentrification », ou parfois « l’embourgeoisement » en français. Terme ainsi bien plus transparent dans la nature de son projet politique, car c’en est un. Et face à celui-ci, la gauche est bien plus loquace.
« Honte à ceux qui veulent moins de logement social ! Honte à eux car ils veulent un remplacement de la population. »dénonçait Bally Bagayoko, ex (et malheureux) candidat LFI à la mairie de Saint-Denis (plus grande ville du 93) en 2020. (...)
Mixité sociale : un vœu pieu ?
Après la mort de Nahel et les révoltes urbaines de l’été 2023, la première ministre Elisabeth Borne a d’abord apporté une réponse sécuritaire. Puis, le gouvernement a demandé aux préfets de ne plus attribuer de logements dans les quartiers prioritaires aux ménages les plus en difficulté, afin de favoriser la « mixité sociale ». Sans jamais, nulle part, donner de définition à cette fameuse « mixité sociale » qui vient à évoluer selon les contextes et les débats.
Selon le journaliste Arthur Frayer-Laleix, auteur de Et les blancs sont partis (Fayard, 2021) la mixité sociale est une sorte de « grand objectif républicain » dont la définition est « informelle mais officielle, et à la fois officieuse et tacite. » En bref, c’est extrêmement flou (...)
rême-droite s’en est emparé pour développer la théorie du grand remplacement ».
Le journaliste déplore « qu’en face (comprendre, la gauche, ndlr) plutôt que d’avoir un contre-discours qui dirait “oui, c’est vrai, il y a des concentrations d’origines dans certains endroits” et d’essayer de batailler sur les causes, il y a une négation du phénomène ».
Les Jeux Olympiques : un booster du nettoyage social (...)
En France, « en 15 ans, les disparités entre quartiers, mesurées selon le revenu, se sont accentuées dans la plupart des grandes villes ». C’est ce qui ressort d’une étude de l’INSEE parue en 2023 qui indique notamment que « la mixité dans les quartiers prioritaires a diminué entre 2004 et 2019 » ou encore que « tous les groupes de revenus vivent dans des quartiers de moins en moins mixtes, à l’exception notable des populations les plus modestes ». C’est-à-dire que les groupes de revenus les plus aisés sont moins mixtes socialement que ceux les plus modestes. Un constat qui vient tordre le cou aux idées reçues qui ont l’air de continuer d’inspirer certaines politiques nationales. La gentrification apparaît alors comme un rouleau compresseur inarrêtable. Après le passage des JO de Paris, leur magie fera grimper les prix du foncier et des loyers, attirant des populations privilégiées qui bénéficieront de quartiers rénovés et agréables. Repoussant plus loin en banlieue les éternels recalés qui continueront à être accusés de comploter un grand remplacement. Dont ils sont en réalité les victimes…