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OrientXXI
« L’armée israélienne est devenue une armée de milices »
#Israel #Gaza #Cisjordanie #genocide #famine #tortures #cessezleFeu
Article mis en ligne le 4 décembre 2025
dernière modification le 2 décembre 2025

Assaf David est professeur à l’université hébraïque de Jérusalem, chercheur à l’institut Van Leer et spécialiste des armées au Proche-Orient. Né dans une colonie religieuse, il a passé il y a trois décennies onze ans au sein de l’unité 8-200 de l’armée israélienne, spécialisée dans le renseignement technologique.

Dans un entretien accordé à Orient XXI, il revient sur l’évolution de l’armée israélienne, mais aussi de la société dans son ensemble, depuis le 7 octobre 2023.

(...) Assaf David — Avant le 7 octobre, le déni prédomine dans la société israélienne, qui néglige complètement la cruauté de l’occupation exercée sur les Palestiniens. Par ailleurs, le regard prioritaire concerne la Cisjordanie. Gaza est loin. On ne se préoccupe pas de ce qui s’y passe. De manière générale, l’opinion s’intéresse beaucoup plus à des enjeux juridiques intérieurs, à la volonté de modifier le statut de la Cour suprême. Un ancien chef du gouvernement, Naftali Bennett (extrême droite), qualifie alors Gaza d’« épine dans les fesses ». C’est désagréable, mais sans importance. Comme on dit, Israël « gère » Gaza. L’armée suit cette pente.

Le 7 octobre fait basculer la société. L’impuissance initiale de l’armée israélienne apparait incompréhensible à la population. Personne ne l’a vu venir. L’idée d’une « gestion du conflit » disparait. La suite est une catastrophe. La première qualité qu’on attend d’un dirigeant, c’est de garder son sang-froid. Or, après la panique, l’armée entre dans une réaction chaotique qui entraine la société israélienne dans un gouffre. (...)

Je pense que le régime israélien a basculé dans les mains des messianistes. Ce sont eux qui désormais imposent leur vision — et cela impacte aussi l’armée. Ils sont au judaïsme ce que les djihadistes radicaux sont à l’islam. Le judaïsme est instrumentalisé à des fins effroyables.(...)

La meilleure analyse a été faite par un lieutenant-colonel de réserve, Asaf Hazani, qui, dans un livre paru en janvier 2025, a décrit une armée israélienne devenue, selon lui, « une armée de milices »

Il montre, entre autres, que des décisions dans les actes commis par la troupe sont souvent prises par les officiers sans validation préalable de leurs supérieurs ou même à l’encontre de leurs ordres. Il montre aussi que des officiers supérieurs n’en font parfois qu’à leur tête, en particulier ceux issus du courant messianiste. (...)

Normalement, l’état-major, le 8 octobre, aurait dû déclarer : « voilà ce qui est interdit. Quiconque enfreint ces règles sera inculpé ». Mais c’est l’inverse qui est advenu. Au plus haut degré de l’armée, on a assisté à une folie destructrice. Comment dès lors s’étonner de la brutalité généralisée, du désir de vengeance totale, des soldats comme des civils ? La femme du chef d’état-major d’alors, Herzi Halevi, a raconté que le 7 octobre, lorsque son époux a appris ce qui advenait à Gaza, il lui a dit en partant au quartier général : « Nous allons détruire Gaza. » La direction du pays, politiques et militaires, a donné le « la ». Ensuite, beaucoup de gens ont jeté de l’huile sur le feu. Résultat : une folie de cruauté, soutenue par l’opinion, s’est emparée de cette armée. (...)

la crise la plus importante a opposé l’état-major au gouvernement, qui ne souhaitait pas cesser la guerre pour permettre un retour des otages. (...)

Pour viser un seul dirigeant du Hamas, il était permis de tuer 150 ou 200 civils. Mais au bout de quelques mois, le même Hagari a déclaré qu’il était impossible d’éradiquer le Hamas, car « on n’éradique pas une idéologie ». Dès le troisième mois, des voix se sont élevées à l’état-major pour faire de la recherche d’une solution politique à cette guerre une priorité. Mais le gouvernement ne le voulait pas. (...)

Sur ce sujet, l’armée s’est divisée. Une partie de ses généraux souhaitait clairement mettre en œuvre une épuration ethnique. Dès le premier mois, ce qu’on a appelé le « plan des généraux » visait à provoquer une famine telle que la population gazaouie partirait. Il ne resterait alors, dans leur esprit, que des groupes armés qu’il serait facile d’éliminer. Mais une autre partie de l’état-major était opposée à cette stratégie. (...)

au fil du temps, les messianistes ont déployé une idéologie, celle portée par ce qu’on appelle aujourd’hui le « sionisme religieux », qui a fait de la conquête de l’armée un objectif prioritaire. Aujourd’hui, la troupe leur est majoritairement acquise. Sa démographie sociologique a été bouleversée au fil du temps. L’état-major se divise en deux parties, une « dure », où les messianiques sont déjà fortement représentés, et celui des dits plus « libéraux ». Mais ce groupe a déjà perdu la bataille interne. L’élite militaire est entre les mains de nationalistes ethnicistes très « faucons », qui sont le pire danger pour la survie d’Israël.

En plus de l’armée, ils contrôlent désormais aussi la police, les services secrets intérieurs [Shin Bet] et les prisons. Personnellement, je suis né à Kyriat Arba [une importante colonie religieuse très proche de Hébron, en Cisjordanie]. Je sais comment les enfants y sont éduqués, dans une atmosphère épouvantable de haine des Palestiniens. Quand ces jeunes entrent à l’armée, ils sont imprégnés de cette éducation messianique et de cette haine. Je ne vois pas comment on peut les arrêter. (...)

Le premier ministre Benyamin Nétanyahou surfe sur le chaos international, régional et domestique. Et il mettra en œuvre tout ce qu’il peut pour alimenter ce chaos. S’il peut éliminer de leurs positions tous ceux qui lui font obstacle, il le fera. Aujourd’hui, c’est la procureure générale de l’armée, Yifat Tomer-Yerushalmi, qu’il accuse de « haute trahison » pour avoir diffusé les images du viol d’un Palestinien dans un camp de rétention israélien

. S’il peut augmenter la criminalité intérieure dans les bourgs palestiniens d’Israël, il le fera. S’il peut relancer cette guerre, il le fera. Et s’il peut attaquer de nouveau l’Iran, il le fera aussi si ça lui bénéficie. La société israélienne et les centres de pouvoir habituels sont de moins en moins en position de faire obstacle à Nétanyahou et son entourage. (...)