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La vie des idées
L’avortement sous l’Ancien Régime
#avortement #IVG #droits #femmes
Article mis en ligne le 21 novembre 2024
dernière modification le 18 novembre 2024

Sous l’Ancien régime, l’avortement n’existe pas comme catégorie juridique distincte. Il ne s’en pratique pas moins et est criminalisé lorsqu’il est associé à une transgression sexuelle. Comment dès lors faire l’histoire d’un impensé et d’une pratique dissimulée ?

Le 28 septembre 2024, le pape François déclarait devant des journalistes : « Un avortement est un homicide, les médecins qui font cela sont, si vous me permettez l’expression, des tueurs à gages ». Une telle déclaration s’inscrit dans une tradition théologique que l’on peut faire remonter aux Pères de l’Église, et qui ne propose pas de réflexion sur l’avortement en soi avant le XVIe siècle, le confondant souvent avec l’infanticide, le parricide, voire l’homicide en général. La réflexion de Laura Tatoueix sur l’histoire de l’avortement s’élabore, en premier lieu, à partir des conditions culturelles constituant le cadre des pratiques.

De fait, le pape passe sous silence les débats qui ont traversé l’Église. D’une part, théologiens et conciles, statuts synodaux et manuels de confesseurs, ont historiquement distingué fœtus inanimé et animé – c’est-à-dire doté d’une « âme » humaine. Seul l’homicide de ce dernier était considéré comme un crime. Si la limite de l’animation était arbitrairement, et en dehors de toute connaissance scientifique, fixée à 40 jours (alors même que manquait tout moyen de dater la conception), on voit qu’une prise en compte de ce distinguo, réévalué à la lumière des évolutions scientifiques, pourrait faire évoluer le discours de l’Église sans constituer un reniement total. Ceci étant, l’Église a toujours craint que la moindre concession apparaisse comme une possible légitimation de l’avortement (...)

D’autre part, à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, la casuistique jésuite a introduit une réflexion sur les cas particuliers – notamment liés à la situation sociale ou médicale de la mère. Là encore, le pape fait fi de cette tradition – qui fut du reste stigmatisée dès sa formulation.

À côté de la théorie, il y a une pratique : selon l’Organisation mondiale de la santé, entre 39 000 et 47 000 femmes décèdent chaque année des suites d’une IVG non médicalisée. L’incertitude du chiffre souligne qu’encore aujourd’hui l’avortement relève du secret et demeure une pratique difficile à appréhender. Cette difficulté est plus forte encore pour les époques anciennes. (...)

Si la démographie historique avait déjà conclu que la faiblesse des naissances illégitimes couplée à l’importance de la sexualité illégitime devait s’être traduite par l’usage des procédés contraceptifs et/ou abortifs, aucune étude française n’existait qui articulât sur ce sujet une histoire de la criminalité et une histoire du corps, une histoire de l’émergence d’une notion et celle d’une pratique [1]. C’est tout le mérite du livre de Laura Tatoueix que de nous convaincre qu’il est possible, sans téléologie, de traquer les formes sous lesquelles est pensé et vécu ce que nous appelons avortement, avant qu’il ne se dise comme tel. Innommable, la pratique n’en existe pas moins et les contemporain·e·s en étaient conscient·e·s. La rareté des cas judiciaires témoigne même d’une certaine tolérance sociale et (en dépit de la rigueur de la doctrine) d’une relative tolérance des institutions. (...)

L’histoire de l’avortement relève plutôt de l’histoire du contrôle religieux, moral et masculin sur les corps féminins.

Laura Tatoueix, Défaire son fruit. Une histoire sociale de l’avortement en France à l’époque moderne, Paris, éditions de l’EHESS, coll. En temps & lieux, 2024, 392 p., 22,80 euros.