
À l’issue de sa visite d’État à Londres, Emmanuel Macron a annoncé un accord sur le volet migratoire, et notamment l’application du principe du « un pour un », permettant l’échange de personnes migrantes entre les deux pays. Celui-ci pourrait débuter dans les prochaines semaines
(...) Il s’agit d’un « projet pilote » qui sera opérationnel « dans les prochaines semaines », a expliqué Keir Starmer, le premier ministre britannique, pour « casser ce modèle de traite d’êtres humains ». « Maîtriser l’immigration clandestine est un enjeu essentiel pour nos deux pays », a ajouté Emmanuel Macron. (...)
Ce dernier a mis en avant la « quasi-extinction des tentatives ferroviaires ou en transport routier » depuis plusieurs années et des moyens humains et techniques qui « n’ont jamais été aussi importants » – 1 200 forces de sécurité et d’intervention sont mobilisées. Ce projet pilote doit avoir un « effet dissuasif ». Un accord politique de principe, informel donc, qui se base sur le principe du « one to one », ou « un pour un », et qui consiste en un échange de vies humaines comme nous pourrions échanger de vulgaires marchandises entre deux pays.
L’idée paraît simple sur le papier : une personne migrante arrivée de façon illégale au Royaume-Uni pourrait être renvoyée vers la France tandis qu’une autre personne migrante basée en France pourrait rejoindre le Royaume-Uni si elle y présente par exemple des attaches familiales.
Une façon d’ouvrir une « voie d’admission légale » selon Emmanuel Macron, qui a souligné combien le Brexit n’avait pas tenu ses promesses en matière d’immigration, et avait surtout contribué à une « incitation à réaliser la traversée, donc l’inverse exact » de ce qui avait été annoncé à l’époque.
Cinquante exilés par semaine
« Les migrants qui arrivent par petits bateaux seront détenus et renvoyés en France rapidement », a promis Keir Starmer, membre du Parti travailliste. Le premier ministre britannique n’a pas manqué, lui aussi, de s’exprimer sur le sujet à l’issue du sommet, promettant une « action agressive et dure » pour renforcer le contrôle des frontières britanniques.
La presse britannique a annoncé dès jeudi matin que cinquante exilé·es pourraient ainsi être renvoyé·es en France chaque semaine. Reste à savoir dans quelles conditions ces transferts se feraient, et surtout quels en seraient les contours juridiques. (...)
Comme d’habitude, les mêmes mots ont été choisis pour dire la fermeté des deux pays face aux migrations : « mieux agir » sur la globalité du dispositif maritime, « lutter contre les réseaux de passeurs », « lutter en amont », « intensifier » les contrôles, « aller à la racine du problème »…
Depuis plusieurs années, le Royaume-Uni a allègrement surfé sur la question migratoire et a imaginé tous les stratagèmes possibles pour empêcher les exilé·es de rejoindre le Royaume-Uni en traversant la Manche. Des machines à vagues pour repousser les personnes migrantes en mer ou encore la possibilité de les parquer à bord de navires inutilisés en haute mer ont par exemple émergé et ont fuité dans la presse britannique.
Le feuilleton du Rwanda a ensuite débuté, laissant place à de nombreux épisodes, entre un accord informel conclu entre le Royaume-Uni et le Rwanda pour y envoyer des demandeurs d’asile arrivés illégalement sur le territoire britannique, puis des avions cloués au sol et empêchés de décoller sur décision de justice européenne. En 2023, la Cour suprême avait finalement dit non au projet, estimant qu’il pourrait créer des inégalités de traitement dans les demandes d’asile et mener à des violations de droits humains. (...)
Plus récemment sur le littoral nord en France, une vidéo de la BBC montrant des gendarmes crever les boudins d’un canot pneumatique – avec les remerciements des Anglais – pour empêcher des exilés de traverser a suscité la polémique : il s’agit de la nouvelle doctrine appliquée par les Français, permettant d’intercepter des bateaux dans une zone de 300 mètres depuis le rivage, avec l’argument avancé que les embarcations, bien souvent surchargées, sont à elles seules un danger pour les occupants à bord. Les forces de l’ordre sauveraient ainsi des vies.
De leur côté, les associations d’aide aux exilé·es estiment que ce type de manœuvre, en plus de n’avoir aucun contour légal, met en danger les exilé·es car cela crée des mouvements de panique dans l’eau, et surtout, pousse les exilé·es à prendre plus de risques en tentant la traversée depuis des zones toujours plus éloignées du point d’arrivée, pour mieux éviter les contrôles de police.
L’instrumentalisation de vies humaines (...)
Dépassé par sa propre instrumentalisation des questions migratoires, Keir Starmer a dû insister, face aux journalistes lors de la conférence de presse organisée à l’issue du sommet : « L’accord sur le nucléaire est aussi important que celui sur l’immigration. » La situation aurait pu être comique si elle n’était pas aussi dramatique, et si elle ne risquait pas de changer la vie de nombreux exilés qui n’aspirent qu’à s’installer dans le pays de leur choix, après un parcours migratoire éreintant et souvent traumatisant. (...)
L’ONG Médecins sans frontières a dénoncé un accord non seulement « absurde », mais aussi « extrêmement dangereux ». « Considérer que les personnes exilées peuvent être traitées comme de la marchandise ou de simples numéros est abject. Il est par ailleurs absurde d’envisager de renvoyer des personnes en France alors qu’il s’agit du pays qu’elles ont décidé de quitter, n’y ayant trouvé aucun refuge. » Mediapart avait documenté, il y a quelques années déjà, comment des exilés expulsés d’Angleterre retentaient la traversée depuis les côtes françaises, démontrant toute l’absurdité de ces politiques.