
Le gouvernement met en avant un phénomène de « smicardisation » qu’il déplore. Pourtant, de manière très cohérente, les politiques publiques mises en œuvre depuis une quinzaine d’année vise à ralentir la progression des salaires. De ce point de vue, la stagnation des salaires réels constatée récemment est sans doute, en partie le résultat des réformes du marché du travail, conjuguée à un nouveau contexte macro-économique de faible productivité.
« Smicardisation », de quoi parle-t-on ?
La part des salariés rémunérés sur la base du SMIC a eu tendance à augmenter au cours des dernières années. Cela est principalement du au fait que les salaires de base, au-dessus du SMIC n’ont pas augmenté aussi vite que les prix au cours des années qui ont suivi le COVID, alors que le SMIC lui, de par la loi est indexé sur les prix. Ainsi des personnes qui étaient payées un peu plus que le SMIC il y a un an, mais dont les salaires n’ont pas été revalorisés se sont vus « rattrapées par le SMIC », et parfois ont même bénéficié de la hausse de celui-ci. (...)
En somme, le problème économique qu’il faut expliquer n’est pas la « smicardisation », qui est un symptôme, mais la stagnation des salaires qui n’ont pas suivi ou dépassé l’évolution des prix.
Cet effet est d’autant plus étonnant de prime abord pour les économistes que la baisse du chômage, manifeste en 2022 et 2023, et les difficultés de recrutement dont plusieurs secteurs se sont fait écho sont plutôt des forces qui auraient dû pousser les salaires à la hausse. De plus l’inflation, très visible était de nature à faire flamber les revendications salariales (comme s’en inquiétait certains il y a quelque mois, craignant que les hausses de salaires n’alimentent en retour une nouvelle hausse des prix). Or cela ne s’est pas produit. Les salaires réels de base sont toujours plus faibles fin 2023 qu’en 2020.
Un contexte économique qui incite les entreprises à comprimer les salaires
La première raison a la stagnation des salaires est à chercher davantage du côté du contexte économique, qui allie hausse du coût des matières première et baisse de la productivité des firmes (on parle souvent de la baisse de la « productivité du travail », mais en réalité on n’est pas capable dans les statistiques agrégées de dire si c’est le travail ou le capital ou la combinaison des deux qui a perdu en efficacité). Toujours est-il que la production par salarié a baissé, nettement depuis 2020. Aussi, si les salaires avaient suivi les prix, le taux de marge des entreprises serait plus faible aujourd’hui qu’avant la pandémie. (...)
Une politique publique qui vise à casser la dynamique des salaires depuis 2008
Mais au-delà du contexte récent, la stagnation des salaires est précisément ce que visent les différents gouvernements par les politiques qu’ils mettent en œuvre. En effet, inquiets de la « compétitivité prix », ceux-ci ont non seulement multipliés les mesures pour baisser le coût du travail (voir le billet de blog de Carbonnier sur ce sujet), mais cherché également à mettre en place des institutions pour faire en sorte que les salaires augmentent moins vite. Autrement dit ils ont cherché non seulement à jouer sur le niveau du coût du travail mais également sur la tendance. (...)
Les décisions discrétionnaires concernant les salaires :
La hausse du salaire minimum (encore lui) au minimum défini par la loi, tout « coup de pouce » depuis 2012 ayant été évacué, notamment pour ne pas générer de hausse de salaire au-dessus du SMIC. (...)
Le gel du point d’indice dans la fonction publique (...)
Les politiques socio-fiscales : (...)
Les politiques de réforme du marché du travail : (...)
Conclusion : les politiques publiques contribuent sans doute toujours à la formation des salaires (...)
il faut considérer sérieusement l’hypothèse que les politiques publiques pour désarmer la négociation salariale aient atteint leur cible et se soient conjuguées à la conjoncture post-pandémie pour expliquer une grande atonie des salaires.
Si l’on cherche (vraiment) à redynamiser les salaires, la remise en cause de tout ou partie de ces politiques ou la rénovation des cadres institutionnels de négociation des salaires sont autant de pistes prometteuses. (...)