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« Le conflit israélo-palestinien est d’abord de nature coloniale, même si la religion y joue un rôle »
#Israel #Gaza #Cisjordanie #genocide #famine #tortures #cessezleFeu #colonialisme #religion
Article mis en ligne le 10 décembre 2025
dernière modification le 8 décembre 2025

La chercheuse Caterina Bandini s’est penchée sur les groupes de dialogue et les militants religieux pour la paix. Son livre « Une cause sacrée. Religion, décolonisation et mobilisations pour la paix en Israël-Palestine » ouvre une autre grille de lecture du conflit colonial et des zones de contact entre Israéliens et Palestiniens.

En Israël, l’évocation du « camp de la paix » convoque un imaginaire de militants et militantes séculières, qui œuvrent avant tout pour la séparation entre Palestinien·nes et Israélien·nes. En marge des sociétés israélienne et palestinienne, d’autres formes de mobilisation en faveur de la paix ont émergé, usant davantage du paradigme de la coexistence des deux peuples sur la même terre.

Dans son ouvrage Une cause sacrée. Religion, décolonisation et mobilisations pour la paix en Israël-Palestine paru le 25 septembre aux éditions Karthala, Caterina Bandini, attachée temporaire d’enseignement et de recherche à l’université de Lille et au Ceraps, cofondatrice du collectif de recherche Yaani, livre une étude ethnographique de ces militantes et militants de la paix religieux.

Arabisante et hébraïsante, la chercheuse est une des rares à se pencher sur des acteurs et actrices des « deux côtés ». Son livre interroge les pratiques, les discours et les motivations de trois principaux groupes : des Palestinien·nes chrétien·nes qui partent de la théologie de la libération pour contrer notamment le sionisme chrétien, des Juives et Juifs libéraux – l’orthodoxie est majoritaire en Israël – engagés pour la défense des droits humains des Palestinien·nes, et enfin des colons israéliens qui réunissent des groupes de dialogue avec des Palestinien·nes en Cisjordanie occupée.

Alors que l’armée israélienne mène des attaques dans toute la région, que la violence militaire et des colons ravage la Cisjordanie, que le génocide commis par Israël a détruit Gaza, emportant des dizaines de milliers de vies, et que le suprémacisme juif étend son influence dans la société israélienne, ces mobilisations persistent. Elles ne sont pas exemptes de biais, reproduisant pour certaines les rapports de domination coloniaux. Elles offrent aussi un autre regard sur les « solutions », critiquant le paradigme de la séparation – deux États distincts, l’un à majorité juive et l’autre palestinien – cher à la gauche israélienne sioniste et à une partie du pouvoir palestinien, héritage des mensonges et omissions d’Oslo. (...)

"La majorité des gens que j’ai interrogés ne partent pas de l’idée que c’est un conflit religieux. Leur démarche consiste à dire que la religion y joue un rôle et que, donc, elle doit aussi jouer un rôle dans la solution. Cette idée est le dénominateur commun à tous les groupes que j’ai étudiés. Cependant, cette dimension symbolique qui s’exprime, entre autres, par les croyances et les pratiques religieuses, évolue dans un contexte colonial. C’est dans les groupes de dialogue entre les colons israéliens et les Palestinien·nes en Cisjordanie occupée que cela se manifeste de la manière la plus visible : ces activités-là viennent reproduire les rapports de domination [de la société coloniale].

Ce sont surtout des organisations créées par des Israéliens ; ce sont eux qui sont à l’initiative et dictent les règles du jeu. Les Palestiniens tiennent des propos assez creux ; ils parlent beaucoup de paix, mais sans trop dire ce qu’ils mettent derrière ce mot. Ils n’ont pas envie de vraiment s’ouvrir parce que les conditions ne sont pas réunies pour qu’ils le fassent. Comme je le montre dans le livre, ils reçoivent des rétributions matérielles très importantes en participant à ce genre de rencontres" (...)

"Sur la scène internationale, la cause palestinienne s’est construite en mettant de côté certains sujets, car c’était considéré comme un point de désaccord tellement fondamental qu’on n’allait pas essayer de trouver une solution sur ce terrain-là. Il y a des enjeux qui ne sont pas assez traités, comme notamment le sionisme chrétien.

Ce n’est pas un courant hégémonique parmi le christianisme dans le monde mais pour les Palestiniens chrétiens, il est perçu comme la menace principale – et pour certains de mes interlocuteurs, elle surpasse celle des sionistes juifs. On en parle souvent dans la configuration actuelle, car le christianisme évangélique dont sont issus la plupart des sionistes chrétiens est la religion qui progresse le plus vite dans le monde aujourd’hui. Cela pèse beaucoup sur la politique étrangère états-unienne, évidemment, mais ce courant progresse aussi en Amérique du Sud, en Afrique, et donc pas mal de pays se positionnent sur cette ligne-là et cela influence leur politique vis-à-vis d’Israël." (...)

"Mais on oublie que le sionisme chrétien est une idée religieuse qui a précédé l’essor du sionisme juif et qu’elle a beaucoup influencé différents milieux chrétiens en dehors des communautés évangéliques. Et donc les Palestiniens chrétiens, minoritaires, viennent mettre le doigt sur ce sujet-là en alertant sur le fait qu’il faut peut-être le creuser si on veut vraiment avoir une compréhension profonde des choses.

C’est un peu pareil en ce qui concerne la vie en Cisjordanie. Ces gens vivent sur un même territoire. Le colonialisme, ce n’est pas uniquement une relation de domination, c’est aussi une rencontre, imposée par les colons. Ce n’est jamais une situation de guerre totale, ce n’est pas non plus pacifié, c’est plein d’ambivalences."

"Les colons peuvent s’imposer de différentes manières : à certains endroits, la violence est plus présente, à d’autres, c’est davantage ce travail d’auto-indigénéisation qui est à l’œuvre." (...)

" Il y a des personnes qui s’engagent dans un parcours de remise en question plus ou moins partielle de leurs privilèges. Elle reste cependant toujours partielle, dans le sens où les gens ne vont pas jusqu’à partir et restituer la terre." (...)

"J’ai une vision sans doute un peu partielle, mais la conviction de ces gens n’a pas bougé. En revanche, les conditions pour la mettre en œuvre sont encore plus compliquées qu’avant.

Il y a des acteurs qui sont même prêts à faire des choses qu’ils ne faisaient pas auparavant, comme Sabeel [une organisation chrétienne palestinienne – ndlr], qui s’engage maintenant avec des organisations juives, en essayant d’ouvrir des portes de dialogue, y compris avec la droite nationaliste. Ce qui est étonnant, c’est qu’ils ne cherchent pas d’alliance avec les militants israéliens de la gauche radicale, car ces derniers ont rompu avec la société israélienne – ils considèrent donc que c’est un investissement inutile, car ces gens-là ne sont pas au pouvoir en Israël aujourd’hui.

L’ampleur du génocide est insaisissable aujourd’hui ; cela va hanter l’histoire des générations futures et cela aura un impact sur tout, notamment sur les questions symboliques et le religieux." (...)

"ce langage religieux est là, il essaie de construire, de se faire entendre, et il y a des circulations importantes entre les différents groupes qui partagent ce langage. Les résultats, hors de ces groupes, ne sont cependant pas très positifs."