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Mediapart
Le Pen, Sarkozy, Bayrou et la justice : les deux corps de la vie politique française
#democratie #justice #Sarkozy #LePen #Bayrou
Article mis en ligne le 12 septembre 2025
dernière modification le 9 septembre 2025

La candidate RN à la présidentielle, l’ex-président de la République et l’encore premier ministre ne sont pas que des politiques. Ils sont aussi trois prévenus menacés par la justice. Une réalité à ne pas négliger pour comprendre ce qui se joue en ce moment.

En 1957, l’historien allemand naturalisé américain Ernst Kantorowicz (1895-1963) publiait un livre, qui ne serait traduit en France qu’en 1989, mais dont l’influence dans le monde intellectuel occidental ne s’est jamais démentie. Son titre, Les Deux Corps du roi (Gallimard), énonce le cœur de sa théorie sur la symbolique du pouvoir à l’époque médiévale, basée – entre autres choses – sur l’étude des Tudor et de la monarchie française : le roi a deux corps, donc, un corps naturel, faillible, soumis aux affres de la vie, et un second, immatériel, immortel, intouchable, incarnation du royaume tout entier.

La démonstration, qui a été intensément saluée, commentée et débattue, a depuis largement dépassé le cadre dans lequel Kantorowicz l’avait développée.

Dans notre Ve République crépusculaire, engluée dans une crise de régime qui ne dit pas (encore) son nom, on pourrait dire qu’il existe aujourd’hui deux corps symboliques de la vie publique française, dont nous avons depuis quelques mois une démonstration éclatante : un corps politique et un corps judiciaire. (...)

Ce n’est tout de même pas banal : Marine Le Pen, qui veut devenir présidente de la République, Nicolas Sarkozy, qui l’a été, et François Bayrou, l’encore premier ministre du pays, ont en effet en commun de ne pas être qu’une femme et deux hommes politiques. Ce sont aussi trois prévenu·es, qui, comme tout·e mis·e en cause, bénéficient de la présomption d’innocence (...)

Devant ce tableau guère reluisant pour le drapeau, il est absolument fascinant de voir comment dans le débat public, c’est-à-dire médiatique, ces deux corps (politique et judiciaire) semblent ne jamais se rencontrer. Comme si rien de ce que disaient Le Pen, Sarkozy ou Bayrou ne pouvait être motivé par un intérêt personnel lié à leur sort judiciaire. Comme si, en quelque sorte, le corps politique de Le Pen, Sarkozy ou Bayrou ne fusionnait pas avec leur corps judiciaire.

Alors que certains n’ont que la dénonciation de la « République des juges » à la bouche – cette théorie selon laquelle des magistrat·es empiéteraient scandaleusement sur le champ du politique avec leurs enquêtes, alors qu’il n’y a en vérité dans ces dossiers que des juges de la République qui essaient de faire leur travail avec les moyens législatifs qu’on leur donne –, il faudrait peut-être regarder ailleurs pour comprendre une partie de ce qui se joue.

Les indices ne manquent pas. (...)

en réclamant la dissolution de l’Assemblée nationale comme il l’a fait, Nicolas Sarkozy sait pertinemment qu’une telle perspective paverait la voie du pouvoir au Rassemblement national (RN).

Mais Nicolas Sarkozy n’est-il qu’un corps politique qui parle du haut de sa chaire avec son demi-siècle d’expérience qui lui fait cortège ? Son corps judiciaire n’aurait-il pas un petit intérêt dans un tel scénario ? (...)

la presse a relaté ces dernières semaines les rencontres de Nicolas Sarkozy, dans son bureau parisien de la rue Miromesnil, avec le président du RN Jordan Bardella, puis avec le vice-président du parti, Sébastien Chenu. Dès le 1er juillet, Le Canard enchaîné rapportait que Nicolas Sarkozy tablait déjà sur une future dissolution, espérant une arrivée au pouvoir du RN. (...)

Le parti de Le Pen n’est pas en reste. Sa numéro deux, la députée de Gironde Edwige Diaz n’a pas caché dans le quotidien Sud Ouest que si le RN arrivait au pouvoir, il s’empresserait de trouver un moyen de miner le procès qui menace d’exclure Marine Le Pen de la prochaine présidentielle. « On a toujours dit qu’on utiliserait tous les moyens à notre disposition, juridiques mais aussi législatifs », a-t-elle confié, sans grande retenue.

Un plan est déjà prêt, concocté par le député Éric Ciotti, l’ancien chef du parti Les Républicains (LR) qui roule désormais pour le RN : une loi qui interdirait tout bonnement l’exécution provisoire des peines d’inéligibilité (même si l’anticonstitutionnalité d’une telle mesure paraît évidente).

Un sujet de concorde (...)

Adversaire politique revendiqué de Nicolas Sarkozy – il avait même écrit un livre-réquisitoire contre lui titré : Abus de pouvoir (Plon, 2009) – et de Marine Le Pen, François Bayrou est au moins d’accord avec eux là-dessus. L’inéligibilité à effet immédiat contre un·e élu·e qui fraude les lois de la République, c’est mal. Ce serait « quelque chose qui biaise la vie démocratique », avait-il affirmé l’an dernier. (...)

Et voilà les corps politique et judiciaire de Nicolas Sarkozy, de Marine Le Pen et de François Bayrou enfin réunis dans un seul et même ensemble.

Une chorale de l’impunité.