
La Syrie, dévastée par des décennies de barbarie assadienne, de guerres, de fragmentations, demeure aujourd’hui un pays aux équilibres précaires et une scène d’ingérences étrangères. L’évolution rapide de la situation sur le terrain au cours des derniers jours soulève de nombreuses questions. Si l’issue finale des combats reste incertaine, un changement significatif s’est produit dans l’équation syrienne.
Après plusieurs années de relative stabilisation des lignes de démarcation entre les différentes parties du conflit syrien, rendue possible par des accords entre la Russie, la Turquie et l’Iran (avec l’assentiment tacite des États-Unis), les récentes offensives militaires lancées par les factions de l’opposition et Jabhat Fatah al-Sham ont mis un terme au « gel du conflit » issu du « processus d’Astana ». Ces opérations ont bouleversé les équilibres établis et modifié de manière spectaculaire la réalité sur le terrain.
En quelques jours, les positions de l’armée syrienne se sont effondrées sur plusieurs fronts, redessinant les « frontières » internes. Les rebelles et Fatah al-Sham ont avancé dans des dizaines de localités, repris des positions stratégiques telles que Saraqib, Maarrat An-Numan, les bases aériennes et aéroportuaires d’Abu Dhuhur, d’Alep et de Nayrab, ainsi que de vastes zones longeant les autoroutes Damas-Alep et Hama-Idlib, tout en s’emparant de la quasi-totalité d’Alep, deuxième ville du pays.
Les causes de la chute des défenses du régime Assad
Plusieurs facteurs expliquent l’effondrement des forces du régime Assad.
1- L’effet de surprise : l’ampleur et la coordination de l’attaque ont pris de court l’armée pro-Assad, peu entraînée et principalement composée depuis 2020 de conscrits et de jeunes réservistes mal encadrés.
2- La corruption du régime (...)
3- La réallocation des milices pro-iraniennes et des ressources russes (...)
4- La préparation minutieuse de l’opposition (...)
Bien que l’issue finale des combats reste incertaine et que d’éventuelles ripostes russes, notamment sous forme de féroces frappes aériennes, puissent inverser la tendance sur certains fronts (notamment dans le centre du pays, non loin de la ville de Hama), un changement significatif s’est produit dans l’équation syrienne. Ce changement révèle la vulnérabilité militaire et politique du régime, privé du soutien actif de ses alliés, poussant ses opposants à envisager sa chute comme envisageable.
Facteurs externes : le rôle de la Turquie et les réactions russes et iraniennes
Quatre éléments liés à la politique turque semblent particulièrement pertinents pour comprendre les derniers développements.
La rivalité russo-turque et les craintes d’une normalisation entre Kurdes et Assad (...)
La question des réfugiés syriens : Ankara cherche à élargir les zones contrôlées par l’opposition, sous son influence, pour faciliter le retour de centaines de milliers de réfugiés syriens qui vivent en Turquie. Cela lui permettrait de négocier des financements européens en vue de rapatrier ces populations et de réduire la pression migratoire vers l’Europe. (...)
Le retrait partiel des alliés du régime : la Turquie perçoit la réduction de la présence militaire russe et iranienne comme une opportunité stratégique pour affaiblir davantage le régime syrien et imposer de nouvelles conditions dans les futures négociations.
L’inscription dans une dynamique régionale (...)
Face aux Turcs, les Russes, qui espéraient un accord global avec Trump et un élargissement de leur occupation territoriale en Syrie en échange d’un contrôle des frontières syro-libanaises et du mouvement du Hezbollah à travers ces frontières, se trouvent piégés par un manque de moyens (du moins pour le moment) face aux bouleversements en cours. Ils ne font certes pas confiance à Assad (...)
De leur côté, les Iraniens, sous pression militaire en Syrie depuis des années et sous frappes israéliennes quasi quotidiennes depuis des mois, n’ont plus les moyens de protéger Assad à moyen et long terme, d’autant plus qu’ils se préparent à l’arrivée de Trump à la Maison Blanche dans sept semaines. Ils laissent entendre leur mécontentement quant à la conduite d’Assad ces derniers temps, en ce qui concerne ses contacts avec les Émirats et son inaction, qui en dit long, face aux frappes israéliennes sur « son territoire ». (...)
Les dynamiques internes syriennes
Malgré l’importance des facteurs externes déjà évoqués, les dynamiques internes restent fondamentales. Les combats qui risquent d’opposer bientôt les rebelles et Fatah Al-Sham aux forces kurdes (et qui ont commencé au nord d’Alep, où les rebelles ont déjà progressé vers la localité stratégique de Tal Refaat) seront décisifs quant au contrôle du nord du pays. Les factions armées opposées au régime, qu’elles soient affiliées à Jabhat Fatah al-Sham ou à d’autres groupes soutenus par la Turquie, sont souvent composées de déplacés internes ou issues de communautés locales épuisées. Elles cherchent à améliorer leurs conditions de vie, à regagner des terres et à retrouver plus de ressources. Ce moment, avant l’installation de l’hiver et son impact sur les populations et les combattants, leur est le plus propice afin d’accomplir autant de succès militaires que possible.
La Syrie, dévastée par des décennies de barbarie assadienne, de guerres, de fragmentations et de fractures, demeure aujourd’hui un pays aux équilibres précaires et une scène d’ingérences étrangères. (...)
une chose est certaine : la souffrance de la population syrienne est loin de prendre fin dans un futur proche…