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Migreurop, co-signataire de cette lettre ouverte à l’initiative de Tunisian Solidarity.
Lettre ouverte de la Tunisie aux peuples du monde
#Tunisie #migrants #immigration
Article mis en ligne le 21 juin 2025
dernière modification le 20 juin 2025

Pour Sherifa, Saadia, Saloua, Mohamed, Iyadh, Abderazek, Abdelkarim, Sonia, Mustapha, Ikbal, Imen, Mourad, Rached et toutes les victimes inconnues de la répression de la solidarité humaine en Tunisie.

Nous, familles de victimes de la répression, mouvements de soutien, organisations de la société civile, défenseur·e·s des droits humains et citoyen·ne·s solidaires, nous élevons aujourd’hui la voix en faveur de la justice, de la liberté, de la dignité du peuple tunisien et de sa pleine souveraineté ; et nous dénonçons d’une même voix l’aggravation des violations des droits humains dans notre pays, particulièrement les attaques ciblées contre les organisations indépendantes œuvrant pour les droits des migrant·e·s, réfugié.e.s et demandeur.euse.s d’asile.

Nous considérons que dans les pays assignés à la dépendance et gouvernés par des régimes autoritaires, les luttes pour la souveraineté et pour la liberté ne peuvent être dissociées — car qu’est-ce qu’une liberté sans la capacité de décider pour soi ? Et que vaut une souveraineté qui ne garantit ni justice pour ses habitants, ni respect pour ses ressortissants, ni dignité pour celles et ceux qui y trouvent refuge ?

Nous rappelons que :

  • À l’heure où s’intensifient les luttes décoloniales et antisionistes, où les guerres dévastatrices ravagent notre région, amenant des populations entières à se déplacer à la recherche d’un refuge ou d’une échappatoire ;
  • À l’heure même où s’accélèrent les processus néo-coloniaux menés par le système impérialiste mondial, s’accaparant terres et ressources, détruisant les territoires et enfermant les populations du Sud dans la pauvreté ;
  • À l’heure aussi où les effets du changement climatique s’aggravent et la pollution s’intensifie, provoquant des catastrophes écologiques alarmantes aux impacts économiques, sociaux et environnementaux dramatiques tout autour du Grand Sahara ;

Actuellement, des milliers de femmes, hommes et enfants traversent les frontières à leurs risques et périls en direction du Nord. Dépossédé.e.s de tout, elles/ils partent de Syrie, du Sénégal, du Soudan, de la Côte d’Ivoire, d’Égypte, du Maroc, du Cameroun, de la Tunisie… à la recherche de sécurité et de dignité.

Face à ce phénomène, l’Europe lève ses boucliers et repousse ses frontières vers le Sud, externalisant ainsi la gestion d’opérations de refoulement musclées, racistes et barbares. Toutes les violations sont permises ; elles sont même financées.

Dans ces conditions, les communautés de pêcheurs et de pasteurs, les organisations humanitaires, les associations locales, les médias indépendants, les défenseurs et les avocats des victimes, etc. sont aux premières lignes pour “humaniser” ces situations dramatiques, chacun selon ses moyens : apporter l’aide humanitaire et médicale d’urgence ; écouter les rescapé.e.s, recueillir leurs témoignages ou répondre à leurs questions ; sortir les cadavres de l’anonymat ; signaler les disparus…

Des actes désormais criminalisés par un régime qui, foulant aux pieds ses engagements nationaux et internationaux, multiplie les arrestations des acteurs en première ligne sous prétexte de complot contre l’État, de connivence avec l’étranger ou de blanchiment d’argent.

Le régime tunisien s’est compromis dans une stratégie délibérée de répression des voix dissidentes (voir note), qu’il faut analyser à la lumière de deux facteurs majeurs : l’enfoncement du pays dans la dette et la signature en 2023 d’un mémorandum d’entente avec l’Union européenne. Par ses actes, le régime révèle qu’il accorde une priorité manifeste à ses engagements financiers envers ses créanciers, reléguant au second plan ses responsabilités envers sa propre population ainsi que ses obligations humaines et solidaires envers les nations sœurs et les peuples frères de la Tunisie.

Nous affirmons que :

  • Nos sociétés du Sud ont besoin plus que jamais d’espaces démocratiques vivants, garants des droits et libertés. Ces espaces sont indispensables aux luttes transformatives et leur défense est essentielle à l’émergence d’alternatives économiques et sociales ancrées dans notre souveraineté.
  • Les conflits et les inégalités qui contraignent les personnes à devoir quitter leurs pays ne peuvent pas être surmontés sous l’hégémonie d’un système organisé, provoquant guerres, dépossession et destruction dans le Sud pour préserver une relative paix sociale dans le Nord et dont les bénéfices colossaux reviennent à une poignée de privilégiés.
  • Ce qui empêche véritablement les pays comme la Tunisie de maintenir sur son territoire sa population active, de progresser vers la prospérité, de construire la paix sociale et la pleine souveraineté, c’est avant tout l’assignation par la dette à des modèles économiques défaillants et à l’échange inégal avec le Nord.
  • Toute la mécanique inventée pour traquer les migrants, les bloquer en Afrique du Nord, les ficher, les enfermer, les forcer au rapatriement, n’est qu’une nouvelle boucle vicieuse qui s’ajoute à un système malsain. Au mieux, elle créera davantage de violations et de pollution, au pire elle fera fleurir de nouveaux réseaux criminels. (...)