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Mediapart
Mobilisées pour un camarade à la rue, des syndicalistes étudiantes perdent leur logement
#CROUS #solidarite #repression #syndicalisme #etudiantes
Article mis en ligne le 14 juillet 2024
dernière modification le 12 juillet 2024

Elles se sont mobilisées afin d’obtenir un logement d’urgence à un étudiant malade et sans papiers. Trois étudiantes syndiquées se voient refuser désormais le renouvellement de leur logement au Crous à Rennes. L’administration leur reproche d’avoir occupé et dégradé les locaux de l’administration.

Pour Alys et deux de ses camarades, la rentrée universitaire s’annonce très compliquée : ces trois étudiantes, actuellement logées à la résidence universitaire Beaulieu à Rennes, ont reçu une fin de non-recevoir à leur demande de renouvellement auprès du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous). Elles devront vider les lieux le 31 août. Le motif : contentieux disciplinaire.

À la lecture du mail l’informant de la nouvelle, le 30 avril, Alys, 21 ans, tombe des nues. Et les explications, reçues quinze jours plus tard, ne la rassurent guère. Il lui est reproché d’avoir occupé les locaux administratifs du Crous de Rennes à deux reprises, dégradé une porte d’entrée, avoir tenu des propos diffamatoires envers l’administration et publié une photo d’un membre du personnel sur les réseaux sociaux sans son consentement, selon l’administration.

À la faveur de ce courrier, la jeune femme découvre par ailleurs qu’une plainte a été déposée contre elle, ainsi que contre ses deux camarades logées dans la même résidence universitaire.
Débloquer la situation d’un étudiant malade

Au premier semestre, les trois étudiantes, militantes et syndiquées à la FSE (Fédération syndicale étudiante), ont en effet participé à une mobilisation, menée en faveur d’un autre étudiant, Mohammed (prénom d’emprunt). Le jeune homme, sourd et handicapé moteur, a entamé des études en France, avant de tomber gravement malade, au point de ne plus aller en cours et de perdre son visa étudiant. (...)

Au nom de leur syndicat, Alys, membre du bureau national de la FSE, et ses camarades – l’une d’entre elles est secrétaire générale de la FSE à Rennes – sollicitent le 5 octobre 2023 par mail un rendez-vous auprès du Crous afin de demander un hébergement d’urgence pour Mohammed, le temps que sa situation se régularise. « Tous ses droits sont bloqués, plaide l’organisation syndicale. Il a un certificat de scolarité et est dans une situation d’urgence, c’est pourquoi nous demandons une réponse au plus vite ! »

Devant le silence de l’administration, le syndicat récidive et demande le 17 octobre une audience au sujet de « plusieurs étudiant·es à loger urgemment ». Ce mail reste lui aussi sans réponse. Interrogé sur ce point, le Crous de Rennes ne nous a pas répondu. En parallèle, s’organisent des collectes entre étudiant·es afin de permettre à Mohammed de payer des nuits dans des logements Airbnb.

Un mois plus tard, face au blocage et à l’inquiétante détérioration de l’état de santé de Mohammed, le syndicat appelle les étudiant·es sur les réseaux sociaux à occuper l’entrée du bâtiment administratif du Crous, le 21, puis le 23 novembre 2023. (...)

Sur la banderole est inscrit : « Étudiant·es sans logement, Crous de la honte ». « La direction a menacé d’appeler la police et nous sommes partis, raconte l’étudiante. La deuxième fois, la police est arrivée et nous sommes sortis. » Le même jour, la ministre de l’enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, est à Rennes, et les étudiant·es mobilisé·es en profitent pour l’interpeller.

La réponse ne se fait pas attendre : Mohammed sera logé temporairement dans un logement mis à disposition par l’Institut national des sciences appliquées, une école privée du campus, financée en partie par une aide débloquée par le Crous. Le jeune homme sera par ailleurs soutenu encore plusieurs mois par les étudiant·es, qui lanceront une cagnotte en ligne afin de lui venir en aide. (...)

C’est donc six mois après les faits, au moment de renouveler leur demande de logement universitaire, que l’affaire rejaillit. Alys et ses camarades découvrent qu’une plainte a été déposée contre elles, elles seront d’ailleurs auditionnées seulement le 3 mai 2024 par la police. « Juste nous, qui logeons au Crous, et y militons comme syndicalistes », s’insurgent les jeunes femmes. Une des trois conteste même le fait d’avoir été présente à l’une des deux occupations. (...)

Avec l’aide d’une avocate, les trois jeunes femmes ont déposé un recours gracieux. Le 18 juin, à l’occasion d’une rencontre avec la direction, cette dernière leur aurait demandé, pour l’examiner, une lettre d’excuse à l’attention du président et le retrait de toutes les publications mentionnant l’affaire sur les réseaux sociaux. Le Crous de Rennes ne nous a pas indiqué à quelle procédure ces demandes correspondaient.

Alys, jusqu’à cette année boursière « échelon 3 », paye 289 euros de loyer pour son T1 de 15 mètres carrés, et se demande comment trouver un toit dans le parc privé de villes universitaires souvent devenues inabordables. « Leur décision nous pousse à la rue, et nous empêchera peut-être même de continuer nos études », déplore l’étudiante, qui a reçu, comme ses camarades, le soutien de plusieurs organisations syndicales, et notamment de la CGT du supérieur au niveau national, de FO Action sociale de Rennes et de la section Sud Éducation de Rennes. (...)

Mohammed, finalement logé dans un foyer médical à Rennes, a quant à lui repris ses études et retourne en cours en septembre, pour finir son master de mécanique à l’université.