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Reggio di Calabria, une province qui tente d’améliorer le sort des travailleurs migrants agricoles (1/4)
#Italie #Calabre #migrants #immigration #agriculture
Article mis en ligne le 4 décembre 2025
dernière modification le 3 décembre 2025

Chaque année des centaines de migrants s’établissent dans la province de Reggio de Calabre (dans le Sud de l’Italie) pour travailler dans les champs d’agrumes le temps de la saison des récoltes. Autrefois largement exploités, ces travailleurs migrants saisonniers voient leurs conditions de travail s’améliorer sensiblement ces dernières années grâce à des initiatives associatives et un engagement politique renouvelé. Malgré tout, l’extrème précarité, le mal logement et l’exploitation de ces populations persistent.

Certains de ces travailleurs saisonniers viennent tenter leur chance pour la première fois comme Abdoulaziz, sénégalais de 22 ans. "Je travaillais dans un hôtel à Milan qui est fermé actuellement. On m’a dit qu’il y avait du travail ici et qu’on pouvait gagner plus d’argent" , raconte-t-il au lendemain de son arrivée à San Ferdinando, plein d’espoir. D’autres sont des habitués revenant tous les ans pour la saison, le plus souvent avant de repartir pour la récolte d’autres fruits ou légumes dans d’autres régions du pays. "Avant de venir j’ai récolté les tomates pendant cinq mois dans les Pouilles", explique Youri, malien de 31 ans, de retour en Calabre pour la deuxième année consécutive. (...)

Terre agricole, la Calabre fournit ¼ de la production nationale d’agrumes. Clémentines, mandarines, oranges et bergamotes sont cultivées dans les nombreux champs de la région et nécessitent une importante main-d’œuvre. Dans la province de Reggio de Calabre, la récolte des agrumes a employé plus de 3 000 immigrés non-européens en 2022 selon les chiffres de l’Observatoire sur l’agromafia sur un total de près de 10 000 travailleurs migrants agricoles pour toute la région de Calabre. La majorité sont originaires d’Afrique de l’Ouest (Mali, Gambie, Guinée, Sénégal, Nigéria, Burkina Faso).

Si la présence de ces travailleurs est essentielle dans l’agriculture, ces migrants ont longtemps été les victimes d’une chaîne d’exploitation dont ils constituent le dernier maillon. Les émeutes des travailleurs - après des attaques racistes - qui ont éclaté à Rosarno en 2010 ont permis de braquer les projecteurs sur cette forme d’esclavage moderne : recrutement informel, salaires impayés, conditions de travail éreintantes. Quinze ans plus tard, grâce aux volontés d’acteurs locaux et associatifs, ainsi qu’aux tentatives des pouvoirs publics pour lutter contre le travail informel et mettre en place des projets communaux destinés aux migrants, la situation a évolué sensiblement. (...)

"Il n’y a presque plus de sans-papiers parmi les travailleurs migrants saisonniers", assure Gianluca Gaetano, maire de San Ferdinando, interrogé par InfoMigrants. "Avec des changements de politiques, ces personnes ont pu obtenir des permis de séjour".

En effet, la quasi-totalité des migrants rencontrés pendant le reportage détenaient un "permisso di seggiorno" (titre de séjour). Ces permis, d’une durée de 6 mois à 2 ans, sont faciles à obtenir, assurent les travailleurs, il suffit de présenter un contrat de travail pour en bénéficier. Mais ils restent précaires - et leur durée constitue un obstacle pour une intégration sur le long terme dans le pays (...)

Cette ouverture sur le marché de l’emploi s’inscrit dans une vision plus globale en Italie : la cheffe du gouvernement d’extrême droite, Giorgia Meloni, a annoncé en juillet la délivrance d’environ 500 000 visas de travail aux ressortissants de pays hors Union Européenne entre 2026 et 2028 dont plus de 260 000 pour le travail saisonnier dans l’agriculture et le tourisme.

En 2016, une autre loi appelée anti-caporalato, du nom du système de recrutement illicite de main d’œuvre à travers des recruteurs informels (les caporali), avait également joué un rôle important dans la lutte contre l’exploitation des travailleurs et la protection des migrants. Cette loi renforçait les sanctions contre les employeurs malhonnêtes. Elle a aussi permis la délivrance d’un permis de séjour spécial pour les travailleurs dénonçant un cas d’exploitation.

"Ces avancées législatives ont été appuyées depuis cinq ans environ par l’augmentation des contrôles de l’inspection du travail auprès des entreprises et producteurs agricoles notamment", assure aussi Gianluca Gaetano. (...)

Reste que le travail dans les champs est particulièrement pénible. "C’est difficile : les cagettes remplies sont lourdes à porter. Certains agriculteurs ont des tracteurs mais pas mon patron actuel. C’est très dur pour le dos mais on n’a pas le choix" indique Bamba sans cesser de couper les clémentines avec son sécateur. La saison de la récolte se fait durant l’hiver, les travailleurs doivent composer avec le froid et l’humidité. Les accidents d’échelle et autres blessures ne sont pas rares.

"Il y a toujours autant besoin de main d’œuvre chez les agriculteurs mais moins de travailleurs migrants à cause de la dureté du travail", détaille Giuseppe Pugliese, le cofondateur de la coopérative Mani & Terra, une initiative née suite aux émeutes de Rosarno qui regroupe une centaine de producteurs et qui offre des conditions justes et dignes de travail aux travailleurs migrants employés.

Il faut dire aussi que les salaires en Calabres sont aussi moins élevés que dans d’autres régions italiennes : dans le nord de l’Italie, la journée de récolte peut être rémunérée 80 euros, contre environ 47 euros en Calabre.

"Les gens ne veulent pas loger des Noirs"

Malgré ces améliorations juridiques et sociales, des problématiques majeurs persistent dans la région, comme le mal logement des travailleurs migrants saisonniers. L’immense majorité des travailleurs vivent dans un campement insalubre, aux portes de San Ferdinando : le tendopoli, littéralement "le village de tentes". "C’est très difficile de vivre ici, l’environnement n’est pas sain : il y a beaucoup de mouches, de rats à cause de la saleté. Je suis ici car je n’ai nulle part où aller", rapporte Bakary, gambien de 36 ans qui revient faire la saison pour la quatrième fois en Calabre. (...)

Les tentes sont depuis longtemps devenues des cabanes de fortune, recouvertes de bâches en plastique pour tenter de faire barrage à la pluie. Les incendies, souvent dus à des courts-circuits, y sont fréquents et responsables de plusieurs décès chaque année. (...)

Impossible pour les travailleurs des champs de trouver des alternatives décentes. Depuis le décret-loi Salvini de 2018, ils ne peuvent plus bénéficier de places en centre d’accueil ni bénéficier d’aide au logement.

Plusieurs migrants interrogés rapportent avoir tenté de louer des appartements, sans succès. "Les gens ne veulent pas de Noirs comme locataires.. Je ne peux pas comprendre” se désole Abdoul, Sénégalais, qui n’a eu d’autre choix que de se rabattre sur le Tendopoli. Le refus de louer illustre la tension persistante entre les populations et les migrants. Un rejet qui s’exprime aussi par des violences et attaques à l’encontre de ceux-ci (...)

"La migration est une richesse"

Cette crise du logement préoccupent les édiles des mairies de Reggio Calabre. "Nous tentons d’améliorer les choses", assure le maire de Rosarno, Pasquale Cutri, qui dit avoir besoin de ces travailleurs dans sa commune. “La migration est une richesse. Ces personnes travaillent dans les champs : sans eux, les terres seraient abandonnées". Il souligne aussi l’intérêt démographique pour sa commune, qui subit un important exode de sa jeunesse. (...)

Plusieurs projets, portés par les pouvoirs politiques locaux sont en effet sortis de terre récemment à l’image du "village de la solidarité", à Rosarno. (...)

Du côté de San Ferdinando aussi les initiatives fleurissent (...)

Enfin, l’ONG Mediterranean Hope a fondé le foyer "Dambe So" (maison de la dignité en bambara) qui accueille plus de 60 migrants lors de la saison des récoltes. En plus des appartements qui sont gérés par les migrants, la structure propose des consultations médicales, un soutien juridique ou encore des cours d’italien. Pour les résidents, ce cadre de vie représente une chance, dans un parcours vers l’intégration semé d’embûches.