
Interrogées entre juin et juillet 2024 dans le cadre d’une enquête menée par l’Institut de recherche pour la paix de Stockholm (Sipri) et son partenaire malien du Centre international de recherche Point Sud, des femmes de Mopti et de Gao décrivent l’impact de la crise sécuritaire sur leur vie quotidienne. Récits de peur, mais aussi de solidarité et d’espoir.
Dans les régions de Gao et Mopti, dans le nord et le centre du Mali, la vie quotidienne des femmes et des jeunes femmes est marquée par les violences commises par les différents acteurs armés actifs depuis 2012. Qu’ils appartiennent aux groupes djihadistes, au banditisme, ou même parfois aux membres des forces étatiques, ces acteurs exposent les populations civiles aux attaques, aux enlèvements, aux vols et aux menaces. On estime ainsi que l’année dernière, 1 503 civils ont été tués dans le pays
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et que 14 % de la population totale, soit environ 2,5 millions de personnes, ont été exposées à des violences armées entre janvier et juin 2024, ce qui représente une augmentation par rapport à 2023.
La vulnérabilité des femmes et des jeunes femmes dans ce contexte est exacerbée par les risques accrus de violences sexuelles à leur encontre, mais aussi, plus largement, par les répercussions que l’insécurité fait peser sur l’ensemble de leur vie – collective, familiale ou privée – comme sur leur intégrité physique et psychique. Le sentiment d’insécurité reste présent dans leur esprit et modifie certains de leurs comportements et de leurs habitudes. Mais il active aussi une solidarité accrue et, s’il pèse sur le moral, n’étouffe pourtant pas l’aspiration à une normalité retrouvée, de nature à porter les projets et les perspectives imaginés au cœur des difficultés.
Dans ces régions, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin, JNIM), affilié à Al-Qaïda, a multiplié les attaques d’envergure contre des positions militaires mais aussi les blocus de villes et de villages et l’interruption de routes vitales (...)
Les blocages récurrents et l’insécurité permanente sur les axes restreignent encore davantage la liberté de mouvement des personnes et les possibilités d’approvisionnement de ces villes en marchandises. Dans la région de Gao, les populations ont également été contraintes de se déplacer pour se réfugier dans les villes, dans le but d’éviter les affrontements entre les forces armées maliennes et les combattants de l’organisation de l’État islamique au Sahel (EIS). De possibles représailles des militaires et de leurs alliés étrangers contre les civils dans les zones sous influence djihadiste sont devenues un objet d’inquiétude croissant, les populations, notamment rurales, redoutant les discriminations et les actes de vengeance
Les conséquences de ces violences et de ces blocages affectent grandement la situation économique, sociale et humanitaire générale de ces deux régions, qui font face à une insécurité alimentaire importante (voir carte) et à des déplacements de grande envergure. (...)
Parmi les personnes déplacées internes (PDI), les femmes et les enfants de moins de 17 ans sont touchés de manière disproportionnée et représentent 58 % de cette catégorie, selon les chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (...)
Depuis 2023, on constate dans les deux régions une exacerbation des violences basées sur le genre (VBG). Femmes et filles sont, en effet, susceptibles d’être exposées à la fois aux violences exercées dans le cadre domestique (viols, agressions sexuelles, mariages forcés, violences psychologiques et déni de ressources, pour les plus nombreuses d’entre elles), mais aussi aux abus perpétrés par les acteurs armés, particulièrement actifs en zones rurales – notamment à travers des agressions, des viols, des enlèvements et des mariages forcés
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Pour autant, vivre au milieu d’une zone de conflit a engendré chez celles-ci le développement de stratégies de résilience spécifiques s’inscrivant à la fois dans l’adaptation de leur mobilité, l’attachement à poursuivre leurs activités à travers l’entraide et le lien social mais aussi la prise de responsabilité, voulue ou subie, au sein de leur couple et de leur famille. De cette façon, elles tentent, en dépit des contraintes matérielles et morales, de protéger leurs enfants et leurs proches, de subvenir à leurs besoins et de continuer à espérer un avenir meilleur pour elles et leurs êtres aimés. (...)