
Dans le nord de la France, la misère touchent tous les migrants qui patientent non loin du littoral dans l’attende de passer au Royaume-Uni. Mais une population est encore plus à risque : les mineurs isolés. Vivant dans une grande solitude, sans famille et sans argent, ils sont encore plus vulnérables que les autres et souvent la proie des réseaux mafieux.
Dans les petits camps éparpillés un peu partout à Calais et ses environs, de nombreux mineurs isolés tentent de survivre avec pour seul abri une toile de tente, ou au mieux, le toit d’un hangar désaffecté. Ils attendent de passer en Angleterre.
Sur le littoral nord, les migrants manquent de tout. Mais les plus jeunes, sans parents, sans famille proche, semblent subir d’autant plus violemment la situation. "Il n’y a pas d’échelle de la misère, ici tous les exilés souffrent. Mais les MNA [Mineurs non accompagnés] sont dans l’ultra-précarité", déplore Jérémy Ribeiro E Silva, juriste pour l’association Ecpat à Calais, dédiée aux mineurs. À la violence de la vie à la rue s’ajoutent "des critères de vulnérabilité" propres à ces jeunes, en pleine construction.
"Tabassé à coups de barre de fer"
En majorité originaires du Soudan, mais aussi d’Érythrée et de plus en plus, de Syrie et d’Égypte, les mineurs présents dans le nord "n’ont quasiment aucune ressources financières", dépeint Feyrouz Lajili, coordinatrice pour Médecins sans frontières (MSF) à Calais, qui dispose d’un accueil de jour pour ces jeunes. L’argent a été dépensé avant d’arriver en France, ou volé par des passeurs sur le chemin.
Beaucoup tentent donc d’atteindre le Royaume-Uni par camion, une expérience "très dangereuse", affirme la coordinatrice. D’abord parce que les jeunes, pour ne pas se faire voir, grimpent sur les véhicules en marche et risquent à tout moment de chuter et de se faire écraser. Ensuite parce qu’en cas d’interception, la sanction peut être lourde. (...)
Bloqués durant des mois, certains mineurs optent alors pour la Manche. Mais sans possibilité de payer la traversée, ils "piratent" l’embarcation, et profitent de la cohue de l’embarquement pour se faire une place. Une option très périlleuse : "Les jeunes peuvent se faire écraser, mais aussi subir la violence des ‘hommes de main’ des passeurs, présents au moment des mises à l’eau", explique Feyrouz Lajili.
Après plusieurs tentatives infructueuses, nombre d’entre eux se retrouvent "dans le désespoir le plus total". "Ils cherchent alors à trouver un ‘travail’ pour gagner un peu d’argent et payer leur passage, explique Jérémy Ribeiro E Silva. Ils aident à l’organisation de la traversée, ou vendent leurs corps". (...)
Et en attendant de voir leur objectif se concrétiser, ces jeunes exilés endurent aussi la violences des démantèlements presque quotidiens. (...)
C’est très dur, car ils se sentent totalement impuissants, faibles de ne pas réussir, et en plus ils culpabilisent car la famille compte sur eux".
En effet, quand on lui demande s’il souffre des conditions de vie dans le nord, Mustapha botte en touche. "Ce qui m’angoisse le plus, c’est la situation des miens, au Soudan, affirme-t-il d’une voix claire. Chez moi, c’est la guerre".
"Penser à autre chose qu’à la survie" (...)
Au centre d’accueil de jour de MSF, les ateliers cuisine ont beaucoup de succès. Ce matin de décembre, une dizaine de jeunes Soudanais préparent l’aswada, une recette sud-soudanaise à base d’aubergines et de beurre de cacahuètes. L’ambiance est bon enfant, une musique entraînante grésille dans une petite enceinte posée sur un plan de travail. "Se retrouver autour d’un plat, cela permet aux mineurs de souffler un peu. De penser à autre chose qu’à la survie", commente Feyrouz Lajili. (...)