
À l’initiative des Gilets noirs pour les travailleurs sans papiers d’un ancien chantier des JO, puis de la Cimade, des actions « coup-de-poing » ont été organisées au niveau de la préfecture de police de Paris, mais aussi à Marseille, Lyon, Clermont-Ferrand, Pau ou Lille, pour tenter de faire bouger les lignes.
Rendez-vous était donné devant le métro Cité, au cœur de la capitale, mercredi 15 octobre après-midi. Assis sur un banc, une dizaine de travailleurs sans papiers originaires du Mali, du Sénégal ou de Gambie attendent l’arrivée de quatre député·es, aux côtés de Lena et Alex, membres du collectif des Gilets noirs.
Depuis deux ans, leur dossier de demande de régularisation bloque sans qu’ils aient la moindre explication, et ce, malgré la grève entamée le 17 octobre 2023 sur le chantier de l’Arena, Porte de La Chapelle, pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris.
À l’époque, comme l’avait raconté Mediapart, les tractations n’avaient alors duré qu’une journée, et les entreprises sous-traitantes avaient accepté de fournir tous les documents nécessaires à leur régularisation. C’était sans compter la mauvaise volonté du groupe Bouygues, qui leur a refusé l’accès au chantier les jours suivants. « L’une des entreprises sous-traitantes s’est battue pour les salariés », fait remarquer Lena. Depuis, « certains travaillent toujours, d’autres ont été licenciés par les autres boîtes et ont trouvé du boulot ailleurs », explique Abdoulaye*. Trois d’entre eux ne travaillent plus.
Face aux député·es – Élisa Martin, Danièle Obono, Ugo Bernalicis et Jean-Francois Coulomme (La France insoumise) –, Abdoulaye exprime son ressenti : « Il y a une volonté politique de bloquer toutes ces personnes, qui ont pourtant travaillé sur les chantiers des JO. » En deux ans, seul Dama, l’un des travailleurs, a été convoqué en préfecture pour déposer sa demande, accompagné du responsable des régularisations au sein de la Confédération nationale des travailleurs-Solidarité ouvrière (CNTSO).
« L’agent en préfecture lui avait parlé d’un récépissé qui lui serait délivré sous quatre mois, mais il n’a jamais rien eu. On nous a dit que le ministère de l’intérieur bloquait », précise Lena.
Un nouveau dépôt collectif a été effectué en janvier 2025, mais les travailleurs n’ont pas eu de retour à ce jour. Or, au-delà de quatre mois sans réponse de l’administration, il faut y voir un refus implicite. « Alors on s’est organisés avec les députés, poursuit Abdoulaye. On les a rencontrés plusieurs fois, et l’idée est venue de déposer un dossier avec eux, pour avoir leur soutien. »
Un dossier connu de la préfecture
Malgré la crise politique du moment, Danièle Obono souligne qu’il était important de les accompagner dans cette démarche. À 15 h 30, les quatre parlementaires se dirigent vers l’entrée de la préfecture de police de Paris, une écharpe bleu-blanc-rouge sur l’épaule, tandis que les travailleurs sans papiers attendent en retrait. Des agents de police affluent et demandent ce qui leur vaut cette visite.
C’est au bout d’une demi-heure que le sous-directeur du séjour sort enfin et accepte de prendre l’épais dossier bleu contant les demandes de chaque travailleur. « On a besoin d’une attestation de dépôt », insiste Élisa Martin, car les concernés auront besoin de prouver qu’ils ont bien déposé une nouvelle demande en cas de recours au tribunal administratif. (...)
Tout le monde est unanime : depuis la circulaire Retailleau venant durcir les conditions de régularisation des personnes sans papiers, datant de janvier 2025, nombreux sont ceux et celles qui restent sans réponse ou qui se voient notifier un refus. Des avocat·es en droit des étrangers et des étrangères se plaignent de ne plus arriver à obtenir un récépissé (le document délivré en attendant la décision de la préfecture, autorisant au séjour et parfois au travail) lors du dépôt des demandes de leurs client·es, alors qu’il s’agit d’une obligation.
Les blocages sont devenus la norme (...)
Jeudi 16 octobre, la Cimade a organisé une journée de mobilisation pour dénoncer « la violence et l’absurdité des parcours de demande de régularisation », avec une déambulation devant la préfecture de police de Paris et à Marseille, Lyon, Clermont-Ferrand, Pau ou Lille. L’association d’aide aux étrangers et étrangères déplore une « politique de rejet, d’exclusion et de bannissement menée par l’administration française à l’encontre des personnes sans papiers ». (...)
Outre la fabrique de sans-papiers, qui conduit chaque année des milliers de personnes à basculer dans l’irrégularité du fait des dysfonctionnements de l’État (lorsque des personnes tentent par exemple de renouveler leur titre de séjour mais n’obtiennent pas leur nouveau titre dans les délais, et deviennent alors sans-papiers malgré elles), les pratiques des préfectures ont évolué depuis la loi Darmanin et la circulaire Retailleau et empêchent désormais toute perspective de régularisation. (...)
Dans un mail de la préfecture en réponse à la CSP75, que Mediapart a pu consulter, il est indiqué que les services « ne répondent plus aux collectifs sur les dossiers individuels, qui sont traités dans le cadre du droit commun ». Personne n’avait encore osé toucher à ce lien particulier, qui permettait d’obtenir, au compte-goutte et pour de très bons dossiers, des régularisations chaque année.