Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Rue89 Strasbourg
Sur le marché des soins à domicile, des travailleuses précaires et des patients maltraités
#soinsadomicile #AVS #precarite #maltraitance #dependance
Article mis en ligne le 28 août 2024
dernière modification le 27 août 2024

Quand elle entre chez certains de ses patients, lors de sa tournée, Charlotte, une infirmière libérale anonymisée, s’attend au pire. Comme d’autres de ses collègues avec lesquels Rue89 Strasbourg a échangé, elle rencontre régulièrement des situations de négligence, voire de maltraitance de ses patients en perte d’autonomie ou vulnérables. Au moins une fois par mois, Charlotte, qui travaille à Strasbourg depuis vingt ans écrit aux proches de ses patients, pour les en informer :

(...) « Ce soir à mon arrivée, votre maman n’a pas été douchée, l’assiette de midi trainait à la cuisine, à moitié mangée. Votre maman n’avait pas de chaussures, donc risque de chute important », décrivait-elle dernièrement, dans un SMS envoyé le 3 juillet 2024.

Ces situations devraient pourtant être réglées par les auxiliaires de vie sociale (AVS), qui interviennent au domicile des personnes très âgées ou en perte d’autonomie. Charlotte a multiplié les signalements aux services d’aides à domicile (SAAD) qui emploient les AVS. « Chez M. X, Entre lundi matin et lundi soir, rien ne bouge, pas même les miettes. Le frigo est toujours très sale aussi », écrivait-elle, le 25 juillet, dans un courriel. « Entretien du domicile pas fait », « aliments périmés dans le frigidaire », « client laissé seul pendant les courses ». Les mêmes sujets reviennent, dans les échanges entre infirmières et les entreprises, que Rue89 Strasbourg a pu consulter. Mais d’après les infirmières, une fois ces signalements faits, « rien ne bouge ».

Des emplois très précaires (...)

Thierry Toussaint, gérant de l’Adhap, un petit service de soins à domicile strasbourgeois d’une vingtaine de salariés et de 120 clients, confirme avoir des difficultés à réagir face à ces signalements :

« C’est compliqué de contrôler nos travailleuses qui sont seules au domicile, chez des personnes qui ne peuvent pas toujours s’exprimer ou qui peuvent mal juger les gestes. Chez nous, les nouvelles recrues travaillent en doublure, et on pose des questions aux clients pour savoir comment se déroulent les visites. Mais je ne peux pas garantir que tout fonctionne à 100%. »

D’après le gérant, les situations de négligence peuvent s’expliquer par un « manque d’attention lors du recrutement » (...)

Le gérant explique refuser régulièrement des clients, car n’arrive pas à recruter de nouvelles AVS (...)

À peine le SMIC au bout de 15 ans

« C’est un métier super, on aide les gens, le relationnel est très important », témoigne une AVS diplômée depuis dix-neuf ans, qui préfère rester anonyme. Ses tâches sont très variées : aide à la toilette, au coucher, aux repas, aux courses, balade, lecture, jeux, etc. En France, on compte 177 000 auxiliaires de vie à domicile, dont la plupart sont des femmes. Mais un poste sur cinq n’est pas pourvu et d’ici 2030, il faudra en recruter au moins 300 000 pour accompagner le vieillissement de la population.

« Le problème, c’est le salaire », regrette la quinquagénaire. (...)

D’après Vincent Jarousseau, journaliste et auteur du livre Les femmes du lien, les aides à domicile doivent attendre une quinzaine d’années pour percevoir l’équivalent d’un SMIC mensuel.

Les AVS sont rarement à temps plein mais elles commencent tôt le matin et terminent tard le soir. Elles ne peuvent pas faire plus d’heures, car le code du travail oblige les salariés à avoir une pause minium de 11 heures entre deux journées d’activité. (...)

Le marché du soin à domicile étriqué

« C’est un métier qui a besoin de plus de reconnaissance, estime Thierry Toussaint. Forcément, j’aimerais pouvoir augmenter le salaire de mes employés, mais cela voudrait dire augmenter nos tarifs pour nos clients, ce qui n’est pas tenable. » À l’Adhap, le tarif horaire d’une prestation est de 32€, ce qui correspond au prix moyen sur le marché.

L’aide à domicile a été mise en place dans les années 1940, par des associations caritatives. Elle a été rémunérée à partir des années 1980, principalement par des associations, les CCAS (Centre communal d’action sociale), ou par l’emploi direct. Des entreprises privées, les SAAD, se sont intéressées à ce secteur dans les années 1990, le considérant comme lucratif. La libéralisation s’est parachevée en 2005 avec la loi Borloo pour la cohésion sociale, qui a incité créateurs et usagers à développer le secteur, par des exonérations de charges patronales et des réductions d’impôts.

Seulement, en se transformant en un marché où pour être performante, une entreprise doit présenter de faibles coûts, les prestations ont été considérées comme des services marchands, standardisées et interchangeables, ce qu’ont documenté les chercheuses Emmanuelle Puissant et Anne Le Roy. (...)

Résultat, la relation humaine devient une relation marchande, ce qui vient ébranler le sens du travail des salariées. (...)

Signalements dans le vide (...)

Au delà du Département, « ça se joue au niveau de l’État », estime François, un infirmier libéral. « La dépendance n’est pas assez prise en charge de manière globale par la société. » (...)

Des moyens « impossibles à déployer », selon l’ancien gouvernement. Une loi pour le « bien-vieillir a été adoptée le 8 avril, mais aucun budget n’a encore été défini.