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Reporterre
TotalEnergies veut ériger une méga-usine d’hydrogène vert en Patagonie
#TotalEnergies #greenwashing #Pagagonie
Article mis en ligne le 9 juillet 2025
dernière modification le 4 juillet 2025

Près du détroit de Magellan, TotalEnergies veut construire l’un des plus grands sites mondiaux de production d’hydrogène vert. Un mégaprojet qui inquiète les associations environnementales et les populations locales.

Nommé H2 Magallanes, ce mégaprojet implique un investissement de 16,3 milliards de dollars (14,2 milliards d’euros) et se donne l’objectif de produire 350 000 tonnes d’hydrogène dit vert par an — un gaz vendu comme un pilier de la transition énergétique. Une industrie cruciale pour le Chili, qui souhaite devenir « leader mondial de l’hydrogène vert ».

Plus précisément, Total mise sur l’hydrogène et l’un de ses dérivés, l’ammoniac vert, dont il compte produire jusqu’à 1,9 million de tonnes par an. Ce dernier, un gaz lui aussi, est plus facile à transporter sur de très longues distances. Or les principaux marchés ciblés par le Chili sont l’Europe et l’Asie, à environ 17 000 km de la Patagonie. Pour produire de l’ammoniac, il faut faire réagir de l’hydrogène (H2) avec du diazote (N2). Dans sa version dite verte, l’ammoniac est produit par électrolyse de l’eau à partir d’énergies renouvelables. (...)

La multinationale prévoit ainsi de construire et exploiter sept usines d’électrolyse alimentées par un parc de plus de 600 éoliennes et une usine de dessalement d’eau de mer. Le gaz sera ensuite exporté depuis un port industriel construit spécifiquement au pied des usines. « C’est gigantesque », s’exclame, jointe par téléphone, Gabriela Simonetti, porte-parole de la coalition d’associations Panel Citoyen H2 Magallanes.

« Les projets n’ont pas été pensés dans une logique territoriale. Ils sont pensés pour l’exportation, pour que les pays occidentaux vivent "vert" pendant que Magellan continue à dépendre des énergies fossiles », dit Ricardo Matus, un naturaliste interrogé par Reporterre.
Fabrication d’engrais et substitut au fioul

TotalEnergies précise que l’ammoniac vert produit à H2 Magallanes pourra servir « de substitut au fioul maritime et d’engrais verts » — car il s’agit d’un carburant. Il pourrait aussi être « décomposé pour récupérer l’hydrogène » et être utilisé en « remplacement des combustibles fossiles dans la production d’acier et de produits chimiques », ajoute l’entreprise.

« La Patagonie est présentée comme l’eldorado de l’hydrogène vert et on voit débarquer des dizaines d’entreprises comme TotalEnergies depuis quelques années », explique Alfonso, un paysan de San Gregorio, commune située à environ 10 km du projet H2 Magallanes. En 2020, le Chili a lancé une « stratégie nationale pour l’hydrogène vert » et il incite fortement les entreprises étrangères à investir.

« Nous sommes très inquiets de la quantité de projets qui veulent s’installer dans ce territoire unique au monde où la biodiversité est fragile », dit Gabriela Simonetti, la porte-parole de Panel Citoyen.

Selon l’étude d’impact que TotalEnergies a soumis début mai à l’organisme chilien en charge des permis environnementaux, H2 Magallanes prévoit de s’installer à 3,5 km du parc national Pali Aike. La multinationale affirme que « l’absence d’impact sur les composants environnementaux du parc est garanti par cette zone d’exclusion de 3,5 km ». Les travaux devraient commencer en 2027, une fois toutes les autorisations acquises.

Deux oiseaux en voie de disparition (...)

Ricardo Matus, fondateur du Centre de réhabilitation pour oiseaux Leñadura à Punta Arenas, estime qu’« il est difficile de mesurer les conséquences de l’industrie sur cette riche biodiversité, surtout quand les entreprises disent que tout va bien et qu’il y a très peu d’études indépendantes sur la faune et la flore de Patagonie ». (...)

Avec son Centre de réhabilitation, il s’évertue à étudier les espèces les plus vulnérables pour disposer d’études indépendantes face aux entreprises. « J’ai peur qu’on connaisse les conséquences quand on ne verra plus les oiseaux voler au-dessus de nos têtes. C’est certain, il y aura des collisions avec les éoliennes », dit-il. (...)

Le détroit de Magellan est également un puits de capture du CO2, selon une étude réalisée par l’université du Chili. Ses tourbières accumulent de la matière organique depuis des milliers d’années et retiennent de grandes quantités de carbone. Elles pourraient stocker près de deux fois plus de CO2 par hectare que les forêts de l’Amazonie.

L’étude précise que ces écosystèmes doivent être rigoureusement protégés car leur exploitation entraînerait la libération du carbone dans l’atmosphère et aggraverait le dérèglement climatique.

« Que vont devenir les baleines ? » (...)

Panel Citoyen estime que l’industrie de l’hydrogène vert pourrait aussi générer une fragmentation de l’habitat, la perturbation des cycles hydrologiques, l’érosion des sols, des pollutions… et nuire à la biodiversité déjà menacée de la région. « Elle impacterait deux écosystèmes : terrestre et maritime », souligne Gabriela, porte-parole de Panel Citoyen.

Elle précise que le trafic maritime dans le détroit de Magellan risque d’augmenter. Entre 2024 et 2025, Magellan a déjà connu une augmentation de 22,5 % du trafic de navires marchands. Et cela inquiète Alfonso, éleveur dans les steppes : « Il y a des baleines qui transitent par ces eaux : que vont-elles devenir ? » (...)

Avec une durée de vie estimée à vingt-cinq ans, H2 Magallanes devrait faire travailler 6 000 personnes pendant la construction, et 700 en opération. Alfonso, né sur ces terres australes il y a 73 ans, est sceptique quant à « l’apport à l’économie locale promis par les entreprises ».

« On nous réserve le même destin que les villes minières du nord », ajoute-t-il. « La majorité des emplois sera occupée par de la main d’œuvre qualifiée venue d’ailleurs. Puis, les prix vont augmenter, la drogue et la prostitution vont faire leur apparition. Quand l’entreprise partira dans quelques décennies, la Patagonie n’aura plus le même visage. »
Un sentiment d’injustice climatique en Patagonie (...)

Selon les estimations du ministère de l’Énergie, la région de Magellan pourrait générer 13 % de la production mondiale d’hydrogène vert. S’il est fondamental de répondre à la crise climatique avec le développement des énergies renouvelables, comme le souligne la coalition dans un communiqué, il ne faut pas oublier « la justice sociale [...] et la préservation de la biodiversité ». Elle appelle à « prendre conscience des risques liés à cette industrie, car elle pourrait transformer une partie de la Patagonie en une nouvelle “zone de sacrifice” [une zone durablement affectée par l’activité industrielle] »...