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l’Humanité
A Paris, « le harcèlement policier s’intensifie »
#harcelementpolicier #violencedEtat
Article mis en ligne le 19 octobre 2022
dernière modification le 18 octobre 2022

Depuis quatre ans, Marc Ball filme les adolescents d’un quartier populaire du 12e arrondissement de Paris, victimes de contrôles abusifs et illégaux. Malgré un procès historique et la condamnation de l’État, la violence qu’ils subissent est toujours là.

En 2015, dix-huit jeunes du quartier Rozanoff à Paris ont porté plainte collectivement pour violences volontaires contre une brigade de police du commissariat du 12e arrondissement qui les harcelait, multipliant contrôles au faciès, fouilles au corps, tabassages et autres insultes racistes à leur égard.

Un procès a eu lieu en 2018, à l’issue duquel l’État a été condamné, ainsi que trois policiers. En appel, les fonctionnaires ont été relaxés. Ils ont porté plainte pour diffamation contre les jeunes, qui, eux, ont été condamnés à leur payer des dommages et intérêts. L’affaire n’est pas terminée puisqu’un pourvoi en cassation a été formé. (...)

Cette affaire historique, puisque c’était la première fois que, collectivement, des victimes de violences policières « ordinaires » vont en justice, a été portée à l’écran par Marc Ball dans un documentaire intitulé Police, illégitime violence (1). Quatre ans après, le réalisateur est retourné dans le quartier pour voir si la situation des jeunes avait évolué.

Quelle était votre motivation lors du premier tournage ? (...)

J’ai voulu mettre en lumière ce que vivent, de longue date, les jeunes de quartiers populaires.

Qu’est-ce qui vous a marqué durant le procès ?

Il était historique, au sens où c’était la première fois que des jeunes, leur famille et un collectif d’habitants du quartier se mobilisaient ensemble pour porter plainte collectivement contre le harcèlement policier. Durant cette audience, les agents ont tranquillement reconnu cibler des jeunes fichés sous la catégorie « indésirables » dans leur logiciel informatique. Une catégorisation illégale qui renvoie à des heures sombres de notre histoire. Mais les policiers avaient juste l’impression de « faire leur travail ». (...)

Cela montre que ces violences n’étaient pas l’œuvre isolée de fonctionnaires racistes, mais que c’est bien la fonction même de la police qui mène à ces dérives, en se focalisant sur un certain type de population qu’il s’agit de chasser de l’espace public (...)

Par ailleurs, un policier qui « travaille bien » acquiert des points qui lui permettront d’obtenir une mutation dans la région de son choix ; le commissaire qui remplit abondamment son tableau de chasse pourra être promu préfet… Ils sont dans cette logique-là, qui leur a fait perdre le sens de leur mission.

La diffusion de votre film Police, illégitime violence a-t-elle changé la situation ?

Dans un premier temps, les contrôles violents se sont un peu calmés. Mais très vite, les policiers ont engagé des représailles envers les jeunes qui avaient porté plainte. (...)

Certains adolescents m’ont raconté qu’ils avaient reçu des amendes alors qu’ils n’étaient même pas sur les lieux. La crise du Covid, avec les confinements et le couvre-feu, a autorisé plus d’interventions violentes et a décuplé le recours aux amendes. (...)

En 2022, vous avez décidé de retourner filmer les jeunes de ce quartier. Pourquoi ?

Je pense avoir une responsabilité vis-à-vis de ce quartier, de ces jeunes, de leur réalité, que nous avons participé à mettre en lumière (...)

Leur situation vis-à-vis de la police n’a pas changé depuis quatre ans ?

En 2022, malgré le procès, malgré la condamnation de l’État au civil, malgré l’attention médiatique, malgré la mobilisation locale, rien ne semble changer, sinon pour le pire. (...)

Aujourd’hui encore, avoir 14 ans dans le quartier Rozanoff du 12e arrondissement de Paris, c’est sortir chaque jour dans la rue avec la crainte de croiser la police. C’est retrouver ses amis sur un banc et redouter à tout moment les coups et le gaz lacrymogène. C’est découvrir de nouvelles amendes qui ne cessent d’être majorées et de plomber le futur de ces collégiens et lycéens. Les amendes sont une arme qui vient s’ajouter au harcèlement physique, qui se poursuit.

Dans quel état d’esprit sont les jeunes que vous avez rencontrés ?

Les nouvelles générations subissent exactement la même chose que les précédentes. Elles ont toutes des histoires de gazage, de poursuites, de traque à raconter. Le pire, c’est que ces jeunes se sont habitués à courir dès qu’ils aperçoivent un uniforme. (...)

À la violence physique s’ajoute aujourd’hui une violence économique. Mais ils ont conscience que s’ils portent plainte ou contestent les amendes, cela n’aboutira pas.

Vous avez aussi redonné la parole à un policier qui intervenait déjà dans votre premier documentaire…

Quand nous l’avions rencontré en 2018, il nous avait dit ne pas cautionner la politique du harcèlement et du chiffre, préférant avoir de bonnes relations avec la population, notamment pour obtenir des renseignements et faire des enquêtes sérieuses.

Désormais, il a raccroché l’uniforme pour devenir chercheur et tenter de faire avancer les choses d’une autre manière. (...)

Y a-t-il un espoir que cela cesse ?

Des acteurs de la société civile comme la LDH, des universitaires ou des collectifs contre les contrôles au faciès dénoncent ce harcèlement et cette nouvelle pratique des amendes forfaitaires. L’opinion publique ne peut plus les ignorer. (...)

On sait par ailleurs que le contrôle d’identité est une exception française, cela n’existe pas dans la majorité des pays européens. Les statistiques prouvent que c’est inefficace en termes de réduction de la criminalité. Il faudrait que, sous impulsion politique, l’institution policière repense sa fonction. Hélas, on n’en prend pas le chemin…