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Mediapart
À gauche, tous les chemins mènent à la hausse des salaires
Article mis en ligne le 6 novembre 2021
dernière modification le 5 novembre 2021

Après des années de silence à gauche, la hausse des salaires revient en grâce et suscite un consensus quasi parfait.

C’est moins le cas d’une réduction du temps de travail, que certains n’hésitent pas à mettre en concurrence avec la « feuille de paie ».

Quand ils ne se prennent pas les pieds dans le tapis de polémiques identitaires qui saturent les médias de masse, les candidates et candidats de gauche parviennent à faire exister un sujet qui a le mérite de les rassembler : la hausse des salaires.

Depuis quelques semaines, et notamment depuis la distribution par le gouvernement du « chèque énergie » (100 euros pour les ménages modestes), le sujet fait l’unanimité des gauches en pré-campagne présidentielle. Tous les courants, chacun dans son couloir, en ont fait une priorité. Mercredi 3 novembre, la socialiste Anne Hidalgo a par exemple dévoilé les dix premières mesures de son éventuel mandat : de manière significative, les trois premières portent sur l’augmentation du revenu disponible des ménages.

Parmi les pistes évoquées par l’ensemble des candidats et des candidates, le relèvement du salaire minimum (Smic) fait consensus. Il s’agit d’un levier pratique, car directement actionnable par les pouvoirs publics. Son autre atout est de bénéficier aux salariés les plus modestes, et de pousser également à la hausse des fiches de paie aux montants supérieurs. « On sait par des études que des “effets de diffusion” se propagent jusqu’à des rémunérations atteignant deux Smic », assure à Mediapart Boris Bilia, haut fonctionnaire dans une administration économique et financière, et co-animateur du think tank Intérêt général. (...)

Les montants ambitionnés varient selon le degré de radicalité affiché par les forces concernées. Lutte ouvrière souhaite porter le Smic à 2 000 euros net, le PCF l’imagine à 1 800 euros net, et La France insoumise le situe à 1 400 euros net. Tandis que les Verts entendent le rehausser de 10 à 15 % sur trois ans, Arnaud Montebourg parle d’une augmentation immédiate de 10 %, un scénario repris à l’identique par Anne Hidalgo dans son dernier document de campagne. Le principe, en tout cas, est repris du centre-gauche à l’extrême gauche.

De même, l’idée de rassembler patronat et syndicats pour négocier d’autres hausses selon les branches et les secteurs a été largement brandie. Quand la représentante du PS promet une grande « conférence salariale et de l’utilité sociale » sur le sujet si elle est élue, le communiste Fabien Roussel entend mettre autour de la table syndicats de salariés et patronaux pour définir les « métiers essentiels » à revaloriser, et Arnaud Montebourg en fait sa « première mesure » à son arrivée à l’Élysée. Tous réclament par ailleurs le respect, dans des délais courts, de l’égalité salariale entre hommes et femmes.

La question de la « vie chère » (...)

« Il existe un vrai pouvoir de rente de grandes entreprises sur certains produits et services, et de propriétaires sur le marché du logement, rappelle l’économiste Gilles Raveaud à Mediapart. En luttant contre les rentes, on peut limiter le coût de la vie, ce qui passe aussi par l’accès à de bons services publics. » (...)

De son côté, Anne Hidalgo promet une série de dispositifs pour empêcher que plus d’un tiers des revenus soit consacré au logement. Plusieurs candidats plaident enfin pour un blocage pur et simple des prix de l’énergie, en particulier Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg et Fabien Roussel. (...)

« L’augmentation du pouvoir d’achat des plus modestes n’est pas incompatible avec l’impératif de sobriété », estime Éva Sas. Elle est rejointe en cela par le député insoumis Adrien Quatennens, persuadé qu’« augmenter le Smic est une mesure écolo car cela favorisera l’achat de produits plus chers, et meilleurs sur tous les plans ». Porte de sortie d’une société du low cost, l’augmentation massive des salaires créerait un cercle vertueux, affirme-t-on à gauche, où l’on note que plus de cotisations, c’est aussi plus de protection sociale. Ce qui permettrait, au passage, de revenir à la retraite à 60 ans, plaide-t-on à La France insoumise.

Dernier levier « facilement » actionnable : la rémunération des agents employés par la puissance publique. La proposition du doublement des salaires des enseignants, faite par Anne Hidalgo au moment de son entrée en campagne, a été jugée irréaliste par la plupart de ses concurrents. Elle ne figure d’ailleurs pas parmi ses dix premières mesures. Mais d’autres idées sont avancées pour améliorer le traitement des fonctionnaires.

Si les Verts planchent encore sur le sujet, l’équipe de Mélenchon a chiffré à 7 milliards d’euros un rattrapage du gel du point d’indice, et Ian Brossat, le directeur de campagne de Fabien Roussel, précise que l’« augmentation de 30 % » du traitement des agents publics, défendue par le PCF, ne sera « pas seulement pour les enseignants, mais aussi pour les agents territoriaux, les infirmières, etc. ».( ...)

« L’augmentation des salaires, c’est le retour à la gauche “canal historique”. Pour le coup, il faut admettre que nous avons gagné la bataille culturelle : même la droite parle d’augmenter les salaires », se félicite l’eurodéputé Emmanuel Maurel, soutien d’Arnaud Montebourg.

Entre-temps, la pandémie a changé la tonalité du débat public. (...)

Le terreau des revendications salariales était cependant préexistant à la pandémie. « Depuis la crise de 2008, la captation de la valeur ajoutée par les hauts revenus n’a fait que s’accentuer. Les salaires les plus élevés ont augmenté trois fois plus vite que les plus bas », analyse le député socialiste Boris Vallaud.

« À ce besoin ancien de justice se sont ajoutés l’épisode des “gilets jaunes” en 2018, puis celui de la reprise économique post-Covid avec les tensions sur l’emploi que l’on connaît aujourd’hui. Tous ces facteurs ont fait revenir les salaires sur le devant de la scène », ajoute celui qui a piloté la rédaction du nouveau projet du PS. Il souligne que la question du travail y a été placée en pole position. Dans ce texte, un meilleur partage des rémunérations entre hauts et bas revenus est qualifié de « mesure impérative ». (...)

Les salaires contre la réduction du temps de travail ?

La revendication d’un travail mieux payé n’est cependant pas le seul des combats historiques du mouvement ouvrier : elle a également cherché à réduire le temps qu’il prend dans la vie. Les manifestations du 1er mai, notamment, trouvent leur origine dans la réclamation d’une journée de travail limitée à huit heures. En France, depuis le passage aux 35 heures hebdomadaires, voté sous les gouvernements de Lionel Jospin entre 1998 et 2000, aucune force de gauche – longtemps à l’exception des écolos – n’a cependant fait d’une poursuite de la réduction du temps de travail (RTT) une revendication centrale.

Arnaud Montebourg est même allé plus loin, en affirmant qu’une réduction supplémentaire du temps de travail, comme le défendent les partisans des 32 heures hebdomadaires, serait carrément « le nouvel ennemi de la feuille de paie ». Une sortie qui s’inscrit à l’encontre de l’expérimentation récemment ouverte par la majorité de gauche en Espagne, sur la base du volontariat, et qu’Anne Hidalgo souhaite ouvrir à son tour en France, selon des principes similaires. (...)

On pourrait par ailleurs faire remarquer que l’histoire longue du capitalisme a été caractérisée à la fois par une réduction du temps de travail individuel et une augmentation du niveau de vie. Rien d’étonnant, dans la mesure où la RTT est elle-même propice à des gains de productivité, qui fournissent ensuite du « grain à moudre » aux différentes forces sociales, et rendent donc possibles des augmentations de revenu. Au demeurant, diminuer le temps de travail à salaire inchangé revient à augmenter le salaire horaire, mais aussi à abaisser le seuil à partir duquel seront effectuées des heures supplémentaires, lesquelles sont mieux payées que des heures ordinaires.

Pour beaucoup des défenseurs des 32 heures, l’idée conserve en tout cas sa pertinence. (...)

Pour la sociologue Dominique Méda, les raisons d’organiser politiquement le partage du travail, plutôt que de laisser celui-ci se faire d’office sous l’action des forces du marché, sont toujours les mêmes qu’il y a vingt ans : non seulement réduire le chômage, mais aussi « lutter contre le temps partiel subi et les petits temps de travail en général destinés aux femmes », cela afin de « rééquilibrer les investissements des hommes et des femmes dans le travail, la vie domestique et familiale et le temps personnel ».

Même si la conversion écologique qu’elle promeut devrait être créatrice d’emplois, et peut-être même nécessiter davantage de travail humain qu’aujourd’hui, elle espère que « nous répartirons l’ensemble de ce volume supplémentaire d’emploi sur l’ensemble de la population active. La moindre des choses est de viser une norme de travail égale pour les hommes et les femmes, et si l’on considère le temps consacré au “care”, alors la norme hebdomadaire doit sans doute être réduite ». (...)

Comment comprendre, alors, la frilosité des gauches sur la question ? La version défendue par Hidalgo, on l’a vu, reposerait sur le volontariat. Et si les Insoumis affichent volontiers l’objectif d’une 6e semaine de congé payé ou de la retraite à 60 ans, ils se contentent d’appeler à une « application réelle » des 35 heures, sans généralisation immédiate des 32 heures. Même chez les Verts, pour qui la RTT fait partie de leur ADN idéologique, Éva Sas préfère parler de « réduction du travail tout au long de la vie », et entend rester « sur la priorité du pouvoir d’achat ».

La réponse réside dans le vécu de la RTT mise en œuvre par la gauche plurielle. « L’image des 35 heures a tué le débat », constate amèrement Pierre Larrouturou, qui distingue entre la première loi Aubry, qui ne changeait pas la définition du temps de travail et conditionnait les aides à la création d’emplois, et la seconde loi Aubry, dans laquelle le patronat a gagné la flexibilisation du temps de travail et des exonérations non conditionnées. « À l’hôpital, ça a été le bazar, ajoute-t-il, mais parce que le gouvernement n’a pas ouvert d’écoles d’infirmières afin de compenser les RTT par des embauches. » (...)

En somme, sans planification organisant le primat des besoins sociaux et écologiques sur la profitabilité des entreprises, les 32 heures pourraient se réduire à un aménagement du même système insoutenable qu’aujourd’hui. La même chose vaut pour l’augmentation des salaires, qui vise à améliorer l’accès aux résultats de la production capitaliste, mais ne porte pas sur le contenu et encore moins le principe de cette dernière.