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Mediapart
BAC du XVIIIe arrondissement : « Vous n’êtes pas digne d’exercer la fonction de policier »
Article mis en ligne le 23 février 2021

Corruption, blanchiment, faux en écriture publique, trafic de stupéfiants : le tribunal a retenu l’ensemble des infractions reprochées à six policiers et deux informateurs. Les peines prononcées vont d’un an de prison avec sursis à huit ans ferme, avec des interdictions d’exercer.

Messieurs, levez-vous », ordonne la présidente, Isabelle Prévost-Desprez, qui s’apprête à résumer les motivations du jugement rendu lundi par son tribunal. Comme un seul homme, six policiers et deux indics se mettent au garde-à-vous. Ils ajustent leur veste et joignent les mains, le regard droit devant. Deux ans d’enquête et sept journées d’audience trouvent ici leur conclusion, au moins temporaire – les condamnés ont dix jours pour faire appel.

Les peines, très proches de celles qu’avait réclamées le parquet, se veulent « exemplaires ». Le tribunal entend sanctionner de graves délits, mais aussi une sérieuse rupture de confiance, si ce n’est une trahison, entre maillons de la chaîne pénale. « Vous avez trompé l’autorité judiciaire », répète la présidente en s’adressant aux fonctionnaires. Entre 2017 et 2019, leurs procès-verbaux déloyaux ont conduit à l’interpellation d’au moins quatre hommes, dont certains ont été poursuivis et condamnés sur la foi de dénonciations truquées ou de « coups d’achats » pratiqués hors de tout cadre légal.

« Aucun policier servant la République ne peut adhérer à ces comportements », insiste la présidente, écartant l’idée « fallacieuse » que les punir reviendrait à les sanctionner pour avoir fait leur travail. Isabelle Prévost-Desprez dénonce « une mise à disposition de la force publique pour le compte d’intérêts privés » et « un dévoiement des missions de police judiciaire » qui a conduit à « favoriser certains points de deal » et à mener des interpellations « arbitraires ». (...)

La présidente s’attarde d’abord sur le cas de l’ancien brigadier Karim M. Les explications du principal prévenu sur la contribution « désintéressée » de ses informateurs (officieux), sans réelle contrepartie, sont disqualifiées : « pas crédible ». Toute sa ligne de défense, évoquant tour à tour « les rumeurs » dont il serait victime et « le bluff » dont il saurait faire preuve, est enfoncée : une tentative de « faire dévier les débats ».

« Vous autorisiez, voire proposiez des terrains de deal. Vous étiez décisionnaire des points de vente qui feraient l’objet d’opérations de police. Vous aviez l’objectif de régenter le trafic de stupéfiants sur votre zone de compétence. Vous avez agi comme un trafiquant. »

Le tribunal déclare Karim M. coupable de l’ensemble des infractions « insupportables au corps social » qui lui sont reprochées : corruption passive, faux en écriture publique, trafic de stupéfiants, blanchiment, vols, détournement de fichiers. Fustigeant ses « aveux de circonstance, marque d’un délinquant chevronné », la présidente ajoute que d’autres infractions confessées à l’audience – abus de bien social, travail dissimulé – auraient pu faire l’objet de poursuites si elles avaient été découvertes plus tôt. (...)

huit ans de prison ferme avec maintien en détention, l’interdiction définitive de travailler dans la fonction publique, cinq ans d’interdiction de port d’arme, la confiscation de son appartement d’Aubervilliers et des espèces saisies pendant l’enquête. (...)

L’attitude d’Aaron B., éternel second de Karim M. tentant de minimiser leur proximité, a fortement déplu au tribunal. Il est condamné à quatre ans de prison, dont deux ferme, pour faux en écriture publique, vols et détournement de fichiers. « Vous n’êtes pas digne d’exercer la fonction de policier », ajoute la présidente, qui prononce une interdiction professionnelle définitive et le prive d’arme pendant cinq ans. En retournant à sa place, le gardien de la paix hausse les sourcils et fait « non » de la tête.

Comme ses deux collègues, Alexandre C. voit le couperet s’abattre sur sa carrière. Il écope, en sus, de deux ans de prison, dont un an ferme pour faux en écriture publique et violences. Le tribunal revient sur ses « dénégations », qui n’ont pris fin qu’à l’audience. « En niant ces faits, vous les avez banalisés. Pour atteindre votre but, vous avez détenu de la drogue saisie sur un individu. Vous n’avez pas su garder la maîtrise de vous-même une fois l’interpellé placé sous votre garde. Ce déferlement de violence n’est ni compréhensible, ni justifiable par votre fragilité psychologique à l’époque. »

D’autres « dénégations tout à fait inquiétantes » sont reprochées à son collègue Julian T., condamné à 18 mois de prison, dont six ferme, cinq ans d’interdiction professionnelle et deux ans d’interdiction de port d’arme. Les deux policiers restants, Jean-Baptiste B. et Mehmet C., sont condamnés à des peines de prison intégralement assorties du sursis : 18 mois pour le premier (également interdit d’exercer pendant deux ans), 12 mois pour le second. Ils sont tous deux privés d’arme pendant deux ans. Ils auraient, plus que les autres, « compris la gravité des faits » et « admis leur responsabilité ». (...)

En réparation de leur préjudice, Karim M., Aaron B. et Ahmad M. devront verser, au total, plus de 60 000 euros aux trois parties civiles. Enfin, Abdoulaye D., l’indic au « rôle nécessaire mais accessoire », écope d’un an de prison ferme.