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Basta !
Chaque année, 500 morts au travail : la justice se décidera-t-elle à punir les responsables ?
Article mis en ligne le 17 juin 2016
dernière modification le 15 juin 2016

Chute d’une nacelle, écrasement entre deux wagons, défaut de sécurité sur une coulée d’acier en fusion... Chaque année en France, 500 personnes succombent d’un accident sur leur lieu de travail. Face aux questions des familles des victimes, les directions évoquent la malchance, voire même l’inattention du salarié lui-même, alors que l’organisation du travail ou l’insuffisance de la formation sont en cause.

Devant la Justice, les dirigeants d’entreprises s’en tirent souvent à bon compte, dissimulés derrière une système de sous-traitance qui leur permet d’échapper à leurs responsabilités. Les magistrats peinent aussi à considérer ces faits comme une forme de délinquance. Quand cette quasi impunité prendra-t-elle fin ? (...)

Déni de justice

Peu de familles confrontées à de tels drames – environ 500 salariés meurent d’un accident sur leur lieu de travail chaque année en France [1] – ont la force de demander des comptes, d’interpeller les directions des grandes entreprises et de risquer d’affronter leurs armées d’avocats. Le temps du choc, le besoin du deuil, l’emportent souvent sur la volonté de faire condamner les auteurs des infractions aux règles de santé et sécurité. Ce sentiment est alimenté par le « flagrant déni de justice » qui règne en la matière. À peine 2% des employeurs écopent de peines de prison, généralement avec sursis. Les rares condamnations se limitent à une amende. Souvent au prix d’un éprouvant combat judiciaire. (...)

« Ils attendent toujours qu’un accident grave se produise pour changer leur politique », estime de son côté Bernard Colin, élu CGT au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) à Grande-Synthe. Après la mort en juillet 2015 de Jérôme Domaërel, le corps dissous dans une tranchée remplie d’acier en fusion, Arcelor a finalement installé une protection pour « empêcher toute chute dans une rigole de fonte ». Dix jours avant ce drame horrible, un intérimaire victime d’un malaise était tombé à quelques mètres de ce liquide chauffé à plus de 1200°C. Le CHSCT signale alors l’absence de barrière. Et d’après des documents internes que Basta ! a pu consulter, les élus du personnel dénoncent des défaillances de sécurité depuis… 2001. Six ans avant la mort de Daniel, un ouvrier était déjà mort dans les mêmes conditions, écrasé entre deux wagons. (...)

« Aucun accident n’est le fruit du hasard »

Plutôt que de remettre en cause les conditions de travail, les entreprises évoquent souvent un penchant pour l’alcool, une faiblesse cardiaque, l’inconscience ou l’état de santé du travailleur. « Les ouvriers peuvent faire des erreurs, mais elles sont toujours prédéterminées par l’organisation de travail », explique l’ancien inspecteur du travail Patrick Le Moal. Le code du travail le stipule clairement : un employeur est présumé responsable d’un accident du travail. (...)

Le sale boulot pour les intérimaires

Au cœur de cette organisation du travail, le recours à la sous-traitance. À ArcelorMittal, trois des quatre décès de l’an dernier étaient des travailleurs externes. À Dunkerque, un sidérurgiste sur dix est intérimaire. À Fos-sur-Mer, ils seraient 250 sur 1 200 salariés en production. Il aura fallu trois décès pour que le tribunal, sollicité par le CHSCT, ordonne une expertise de sécurité sur cette question, malgré la réticence de la direction. « Ces lieux de travail nécessitent une formation extrême. L’un des axes principaux de l’enquête est de savoir s’il y a un lien entre le statut d’intérimaire et l’accident », a déclaré le procureur de la République de Dunkerque à Libération. (...)

Faire appel à la sous-traitance « rend invisible » les accidents du travail et a pour effet immédiat d’abaisser leur fréquence chez les grands groupes donneurs d’ordre. Ils échappent ainsi aux sanctions financières prévues par l’assurance-maladie.

Sous-traiter les risques signifie-t-il externaliser les responsabilités ? « Quand on atteint plusieurs niveaux de sous-traitance, la responsabilité est complètement diluée », constate Jean-Paul Bussi, de la CGT intérim. (...)