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le Monde Diplomatique
Corriger par l’impôt l’inique répartition des richesses
> Janvier 1995, pages 14 et 15
Article mis en ligne le 13 novembre 2017
dernière modification le 12 novembre 2017

Changer de cap (1), c’est aussi engager la réforme de la fiscalité. Non pas pour abaisser, une fois de plus, la contribution des mieux pourvus et diminuer les charges des entreprises. Mais pour modifier la répartition outrageusement inégalitaire des ressources et des richesses, amplifiée par le libre jeu des lois du marché.

« Une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre les citoyens en raison de leurs facultés (2). » Formulé dès 1789 - la Révolution est née d’une révolte contre l’injustice fiscale -, inscrit dans l’actuelle Constitution française, le principe d’égalité devant l’impôt est depuis deux siècles le droit de l’homme le plus maltraité.

Il n’a guère inspiré des politiques généralement conduites, au mieux de leurs intérêts, par les classes dominantes et leurs représentants dont la constante préoccupation est de transférer sur d’autres la charge fiscale chaque fois que le rapport de forces sociales le permet, c’est-à-dire la plupart du temps.

Avec un cynisme brutal : « Payer des impôts, c’est bon pour les pauvres » , s’exclamait il y a quelques années, non sans raisons, la veuve d’un milliardaire américain spéculateur immobilier. En France, tandis que le nombre de chômeurs et d’exclus s’accroît vertigineusement, que près d’un million de RMistes doivent survivre (...)

S’il peut en être ainsi, sans grande réaction de la majorité des citoyens, c’est d’abord que la classe dominante verrouille et contrôle le débat sur la fiscalité jusque dans le vocabulaire et la qualification des dispositions. La prise en charge par la collectivité de la domesticité des beaux quartiers est présentée comme une mesure de lutte contre le chômage par une incitation au développement des « emplois de proximité ». Les permis de fraude dans les départements et territoires d’outre-mer transformés en paradis fiscaux par la loi Pons sont baptisés aides à l’investissement (12).

A l’exception notoire des syndicats professionnels (13), peu nombreux sont ceux qui se risquent à rétablir par l’analyse fiscale la signification des mesures prises. Quant aux études, souvent remarquables, conduites par les organismes spécialisés, elles restent confidentielles et difficiles d’accès ; d’autant plus prudentes et conformistes que l’indépendance en la matière peut, comme dans le cas du Centre d’études des revenus et des coûts (CERC), conduire à la remise au pas. Surtout, ces études sont toujours parcellaires, traitant séparément impôts ou situations fiscales sans donner une vision globale des prélèvements obligatoires et de leur répartition.

En général, la presse conservatrice ne s’intéresse qu’à une faible partie de la fiscalité, la partie visible de l’iceberg, à laquelle les élites sont le plus sensibles. Mais c’est au nom de tous qu’elle réclame inlassablement l’allégement - voire la suppression - de l’impôt sur le revenu (14), des droits de succession et de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), sans oublier « les charges écrasantes qui pèsent sur les entreprises ».

Il ne reste aux responsables de tous bords qu’à puiser dans un bêtisier fiscal bien fourni, alimenté en permanence - en particulier par les travaux pseudo-scientifiques d’économistes se distribuant entre eux des grands prix d’autosatisfaction - et où le « trop d’impôt tue l’impôt » a remplacé avantageusement l’ancien « demander plus à l’impôt et moins au contribuable ». Ministres, patrons, experts, maires, proposent gravement des plans d’aide et de relance à telle ou telle profession, industrie ou région en difficulté, dont l’essentiel des dispositions se résume à des exonérations fiscales, autrement dit à des autorisations de ne pas payer ses factures de service public et de les faire régler par les autres contribuables sans qu’on puisse jamais évaluer le rapport entre le coût et l’efficacité de l’opération. (...)