
Avec la nouvelle plateforme, les inscriptions à l’université ont pris du retard. Près de 130 000 élèves dont un vœu a été validé gardent sous le coude au moins une autre proposition, grippant le système. Explications.
La machine semble grippée. Peut-être encore davantage que du temps de l’ancien système Admission post-bac (APB, lire l’encadré plus bas).
Sur les 812 000 élèves inscrits lors du démarrage sur la plateforme, seule une grosse moitié (467 000) a validé définitivement une proposition et sait donc où aller en septembre. Pour les autres, à des degrés divers, c’est encore le flou. 145 000 candidats ont pris la poudre d’escampette : ils ont abandonné la procédure (on était dans le même ordre de grandeur sous APB). Ensuite, 55 000 ne donnent plus signe de vie : pas un seul clic. Ces « candidats fantômes » inquiètent en haut lieu. Enfin, il y a cette catégorie qui n’existait pas du temps d’APB et qui fait aussi aujourd’hui tourner en bourrique les services du ministère (quoi qu’ils en disent) : il s’agit de ceux qui ont une proposition mais conservent, sous le coude, un ou plusieurs vœux en attente au cas où une place viendrait à se libérer. Jeudi, ils étaient 127 263 dans cette situation et « ce stock » d’élèves diminue lentement…(...)
Les inscriptions administratives ont pris du retard par rapport à l’année dernière, annonçant une rentrée de septembre rock’n’roll. Mais qui sont donc ces élèves en attente qui gripperaient le système ? Revue des possibles(...)
Libération
Sur le campus de Villejean, à Rennes, le 17 avril, jour de blocage de l’université pour protester contre Parcoursup.
Sur le campus de Villejean, à Rennes, le 17 avril, jour de blocage de l’université pour protester contre Parcoursup.
Photo Thierry Pasquet. Signatures
DÉCRYPTAGE
Des grains de sable dans la machine Parcoursup
Par Marie Piquemal — 26 juillet 2018 à 19:46
Avec la nouvelle plateforme, les inscriptions à l’université ont pris du retard. Près de 130 000 élèves dont un vœu a été validé gardent sous le coude au moins une autre proposition, grippant le système. Explications.
Un petit changement, pour la forme. Le tableau de bord permettant de suivre, jour après jour, l’application de la réforme d’accès au supérieur a changé. La colonne « candidats n’ayant pas encore reçu de proposition » s’appelle désormais « candidats qui souhaitent s’inscrire dans l’enseignement supérieur via Parcoursup ». Interdit de sourire. Le ministère de l’Enseignement supérieur en a plein le dos de ces articles de presse « qui relèvent du commentaire politique alors qu’objectivement, le nouveau système Parcoursup fonctionne très bien, conforme aux prévisions ». Tout de même. La machine semble grippée. Peut-être encore davantage que du temps de l’ancien système Admission post-bac (APB, lire l’encadré plus bas).
Sur les 812 000 élèves inscrits lors du démarrage sur la plateforme, seule une grosse moitié (467 000) a validé définitivement une proposition et sait donc où aller en septembre. Pour les autres, à des degrés divers, c’est encore le flou. 145 000 candidats ont pris la poudre d’escampette : ils ont abandonné la procédure (on était dans le même ordre de grandeur sous APB). Ensuite, 55 000 ne donnent plus signe de vie : pas un seul clic. Ces « candidats fantômes » inquiètent en haut lieu. Enfin, il y a cette catégorie qui n’existait pas du temps d’APB et qui fait aussi aujourd’hui tourner en bourrique les services du ministère (quoi qu’ils en disent) : il s’agit de ceux qui ont une proposition mais conservent, sous le coude, un ou plusieurs vœux en attente au cas où une place viendrait à se libérer. Jeudi, ils étaient 127 263 dans cette situation et « ce stock » d’élèves diminue lentement…
Avec des répercussions en cascade. A tous les niveaux, de l’université jusqu’aux classes prépas les plus élitistes, la plupart des promos ne sont toujours pas constituées. Les inscriptions administratives ont pris du retard par rapport à l’année dernière, annonçant une rentrée de septembre rock’n’roll. Mais qui sont donc ces élèves en attente qui gripperaient le système ? Revue des possibles.
LIRE AUSSI NOS TÉMOIGNAGES
Parcoursup, le casse-tête de la rentrée
L’hypothèse du vœu de secours et la prime à l’attente
Première possibilité, ces quelque 130 000 élèves ont accepté une place dans une formation où ils ne veulent pas aller. Et attendraient donc fébrilement qu’une place se libère ailleurs… Ce qui voudrait dire qu’ils ont formulé en amont un vœu qu’ils ne voulaient pas du tout ? Est-ce crédible ? Oui, car cet hiver, beaucoup de profs de lycée, inquiets du nouveau système, ont insisté pour que leurs élèves formulent au moins « un vœu de secours » dans une filière peu demandée, pour ne pas se retrouver « sans rien » en septembre.
Problème : tous les élèves ne peuvent pas se permettre d’attendre. (...)
La théorie du collectionneur
C’est une hypothèse qui circule, notamment dans les couloirs du ministère. « La fameuse théorie du collectionneur, ça ne vous dit rien ? » commence un prof de prépa du lycée Kerichen à Brest. A l’en croire, ces élèves qui se gardent un vœu sous le coude auraient en réalité un choix déjà arrêté dans leur tête. « Ils savent où ils iront à la rentrée mais conservent des vœux en attente "pour voir". Et pour s’enorgueillir ensuite : "Si j’avais voulu, j’aurais pu aller là". » Cette hypothèse serait d’autant plus plausible, dit-il, chez les élèves de milieux favorisés(...)
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Sur le campus de Villejean, à Rennes, le 17 avril, jour de blocage de l’université pour protester contre Parcoursup.
Sur le campus de Villejean, à Rennes, le 17 avril, jour de blocage de l’université pour protester contre Parcoursup.
Photo Thierry Pasquet. Signatures
DÉCRYPTAGE
Des grains de sable dans la machine Parcoursup
Par Marie Piquemal — 26 juillet 2018 à 19:46
Avec la nouvelle plateforme, les inscriptions à l’université ont pris du retard. Près de 130 000 élèves dont un vœu a été validé gardent sous le coude au moins une autre proposition, grippant le système. Explications.
Un petit changement, pour la forme. Le tableau de bord permettant de suivre, jour après jour, l’application de la réforme d’accès au supérieur a changé. La colonne « candidats n’ayant pas encore reçu de proposition » s’appelle désormais « candidats qui souhaitent s’inscrire dans l’enseignement supérieur via Parcoursup ». Interdit de sourire. Le ministère de l’Enseignement supérieur en a plein le dos de ces articles de presse « qui relèvent du commentaire politique alors qu’objectivement, le nouveau système Parcoursup fonctionne très bien, conforme aux prévisions ». Tout de même. La machine semble grippée. Peut-être encore davantage que du temps de l’ancien système Admission post-bac (APB, lire l’encadré plus bas).
Sur les 812 000 élèves inscrits lors du démarrage sur la plateforme, seule une grosse moitié (467 000) a validé définitivement une proposition et sait donc où aller en septembre. Pour les autres, à des degrés divers, c’est encore le flou. 145 000 candidats ont pris la poudre d’escampette : ils ont abandonné la procédure (on était dans le même ordre de grandeur sous APB). Ensuite, 55 000 ne donnent plus signe de vie : pas un seul clic. Ces « candidats fantômes » inquiètent en haut lieu. Enfin, il y a cette catégorie qui n’existait pas du temps d’APB et qui fait aussi aujourd’hui tourner en bourrique les services du ministère (quoi qu’ils en disent) : il s’agit de ceux qui ont une proposition mais conservent, sous le coude, un ou plusieurs vœux en attente au cas où une place viendrait à se libérer. Jeudi, ils étaient 127 263 dans cette situation et « ce stock » d’élèves diminue lentement…
Avec des répercussions en cascade. A tous les niveaux, de l’université jusqu’aux classes prépas les plus élitistes, la plupart des promos ne sont toujours pas constituées. Les inscriptions administratives ont pris du retard par rapport à l’année dernière, annonçant une rentrée de septembre rock’n’roll. Mais qui sont donc ces élèves en attente qui gripperaient le système ? Revue des possibles.
LIRE AUSSI NOS TÉMOIGNAGES
Parcoursup, le casse-tête de la rentrée
L’hypothèse du vœu de secours et la prime à l’attente
Première possibilité, ces quelque 130 000 élèves ont accepté une place dans une formation où ils ne veulent pas aller. Et attendraient donc fébrilement qu’une place se libère ailleurs… Ce qui voudrait dire qu’ils ont formulé en amont un vœu qu’ils ne voulaient pas du tout ? Est-ce crédible ? Oui, car cet hiver, beaucoup de profs de lycée, inquiets du nouveau système, ont insisté pour que leurs élèves formulent au moins « un vœu de secours » dans une filière peu demandée, pour ne pas se retrouver « sans rien » en septembre.
Problème : tous les élèves ne peuvent pas se permettre d’attendre. C’est ce qui chiffonne le plus Simon, prof de maths dans une prépa de l’est de la France : « Quand l’élève doit trouver un logement par exemple : toutes les familles n’ont pas les moyens financiers pour s’y prendre au dernier moment et payer le prix fort. Qui a le choix d’attendre jusqu’au bout ? Les plus aisés, c’est une évidence. » D’autant plus avantagés, estime-t-il, qu’ils bénéficieront d’un « effet d’aubaine ». A la fin de la procédure, parie Simon, les élèves qui auront pu attendre, et même ceux en bas des classements, pourraient remonter en flèche et décrocher une place dans une formation prisée.
La théorie du collectionneur
C’est une hypothèse qui circule, notamment dans les couloirs du ministère. « La fameuse théorie du collectionneur, ça ne vous dit rien ? » commence un prof de prépa du lycée Kerichen à Brest. A l’en croire, ces élèves qui se gardent un vœu sous le coude auraient en réalité un choix déjà arrêté dans leur tête. « Ils savent où ils iront à la rentrée mais conservent des vœux en attente "pour voir". Et pour s’enorgueillir ensuite : "Si j’avais voulu, j’aurais pu aller là". » Cette hypothèse serait d’autant plus plausible, dit-il, chez les élèves de milieux favorisés : « Ils s’autocensurent moins que les autres et osent des choix assez audacieux qu’ils maintiennent. » Yann Garandel, enseignant-chercheur en anglais à Paris XIII et qui a une « parcoursupienne » à la maison, a une hypothèse un peu similaire : « Pour moi, certains jeunes se gardent un vœu un peu comme un ticket de loto. Pour laisser une petite place au hasard ou aux rencontres de l’été. »
L’autoblocage et la tentative de déstabilisation
C’était le jeudi 12 juillet, en pleine Coupe du monde. Claire Mathieu, une pointure en algorithmes (directrice de recherches au CNRS et chargée de mission auprès du ministère depuis novembre sur Parcoursup), se met à écrire sur Twitter : « Si le candidat A a accepté un vœu d’une formation F1 en maintenant son vœu pour F2 en attente, et que le candidat B a accepté un vœu d’une formation F2 en maintenant son vœu pour F1 en attente, il ne se passera rien de plus. »(...)
Il n’y a pas que les élèves qui sont dans l’attente. « La grande nouveauté, par rapport à APB, c’est que désormais tout le monde est dans l’attente, même nous, le corps enseignant. » François Boisson est pourtant professeur dans un établissement parisien très prisé, au lycée Charlemagne. La nouvelle promo maths sup MPSI n’est pas encore constituée(...)
« dans nos prépas aussi, nous avons des élèves qui n’ont toujours pas confirmé leur venue ». (...)
Sur le papier pourtant, le nouveau système Parcoursup ne changeait rien dans le recrutement des filières sélectives (prépas, BTS ou IUT). Mais dans la pratique, il a des répercussions non anticipées. Les classes prépas des villes moyennes patinent dans la semoule. (...)
« Au-delà des hypothèses de blocage, nous n’avons qu’une peur, c’est qu’avec la publication des rangs de classement, des élèves aient abandonné leur projet d’aller en prépa, craignant ne pas être à la hauteur… » A Chambéry (Savoie), la semaine dernière, un prof de prépa, inquiet de se retrouver devant une classe à moitié vide, a lancé un appel sur Twitter… pour trouver des volontaires.