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Des milliardaires rêvent d’îles artificielles pour échapper au réchauffement
Article mis en ligne le 23 janvier 2018

Alors que banquiers et dirigeants se retrouvent à Davos, des milliardaires de la Silicon Valley rêvent de créer des îles artificielles indépendantes des États. Et leur permettant d’échapper aux conséquences du changement climatique. Ils discutent avec la Polynésie française pour implanter la première expérience.

Rien de moins qu’un archipel construit ex nihilo, pour échapper à la montée des eaux — et aux normes étatiques. C’est le rêve que caresse The Seasteading Institute (TSI), une association basée à San Francisco qui rassemble certains cerveaux fortunés de la Silicon Valley.

Devant un décor d’atoll de rêve, Joe Quirk, essayiste états-unien et porte-parole du mouvement, exalte les vertus humanistes des îles artificielles. « Enrichir les pauvres », « nourrir les affamés », « purifier l’atmosphère » : autant d’idées qui constituent les « huit grands impératifs moraux » que se donne l’Institut.

Le TSI remonte à 2008. Il naît sous l’impulsion de Patri Friedman, petit-fils du célèbre économiste Milton Friedman, dont les ouvrages comme Capitalisme et liberté et La liberté du choix ont nourri Ronald Reagan, Margaret Thatcher et les néolibéraux actuels. Bien vite s’y associe une des plus grosses fortunes de la Silicon Valley : Peter Thiel. Cofondateur du système de paiement électronique PayPal, le milliardaire est notoirement opposé à toute intervention étatique dans l’économie. De tous les entrepreneurs de la Silicon Valley, il est le seul à avoir publiquement appelé à voter Donald Trump. En outre, il fait partie des plus importants financeurs du transhumanisme, car selon lui, « il est impossible de fixer a priori les limites de notre durée de vie ».

Tous les volets pratiques de la vie sur des îles artificielles (...)

Friedman et Thiel appartiennent à une même école de pensée : le libertarisme, qui prône l’absolue indépendance des individus envers toute forme de gouvernement. Pour échapper aux normes fédérales et à l’imposition, leur vient alors l’idée de profiter des solutions techniques qu’offre la géo-ingénierie pour construire des îles artificielles, situées en eaux internationales — ou à défaut dans des zones franches comme en Polynésie — afin d’échapper à toute réglementation. (...)

À cette dérobade fiscale s’ajoute un souci climatique. Le projet repose sur un constat fataliste : face à l’inéluctable montée des eaux, mieux vaut prendre le large. (...)

Aux termes de l’accord, les plateformes insulaires « visent à attirer des investissements directs et indirects en Polynésie française et à accueillir de nombreux projets d’entreprises et de recherche », et bénéficient pour ce faire d’une « zone économique spéciale qui facilitera la création et la gestion d’entreprises ».

Un vocabulaire qui résonne avec les idées d’Emmanuel Macron. TSI a récupéré des propos du président français dans une vidéo promotionnelle, se reconnaissant dans l’appel du dirigeant de la « start-up Nation » aux « gens innovants [en matière de lutte contre le réchauffement climatique] à ven[ir] en France ». Avant d’ajouter : « La France est votre nation. »

Toutes ces promesses ne reçoivent pas le même accueil en Polynésie. Pour Boris Alexandre Razov, consultant en stratégie et auteur de plusieurs articles sur la Polynésie française, interrogé par Reporterre, « le projet n’aura aucun impact sur l’économie locale. On a déjà eu des exemples dans la région, où investissent beaucoup les entrepreneurs chinois : une société de pêche industrielle aux Marquises, censée créer 600 emplois, et un élevage de poissons chinois sur l’île d’Hao, avec à la clef 233 postes. Au bout du compte, les trois quarts des projets tombent à l’eau ».

« Imaginer un modèle adapté aux réfugiés climatiques »
Pourquoi alors accepter une initiative de ce genre ? Selon Boris Alexandre Razov, « la Polynésie française est le pays d’outre-mer le plus corrompu. On ne sait jamais comment se déroulent ces projets. En revanche, l’argent public tourne toujours dans les mêmes cabinets d’études : ceux qui appartiennent aux grandes familles, proches du pouvoir ». Dès lors, la résistance s’organise du côté des associations locales. Mais en l’absence de toute communication du gouvernement ou du TSI, difficile de savoir comment avance le projet. (...)