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En Bolivie, le pouvoir d’Evo Morales s’enfonce toujours plus dans l’impasse de l’extractivisme minier
Article mis en ligne le 4 septembre 2019
dernière modification le 2 septembre 2019

Le projet minier Casaya, dans le département de Chuquisaca, est un révélateur des contradictions entre le discours officiel du gouvernement bolivien et ses politiques réelles. Déclaré d’utilité publique, le secteur minier a souvent la priorité, au détriment de la protection de l’environnement et des communautés. Une analyse de ces contradictions par Frédéric Thomas, docteur en sciences politiques et chargé d’études au Centre tricontinental.

« Le gouvernement a un positionnement corporatiste, d’appui à certains secteurs, dont le secteur minier. Dans le discours, nous vivons dans un État environnementaliste, qui protège les populations autochtones. Mais dans les faits, nous sommes dans un État minier, et les relations avec les communautés n’ont pas changé, du fait que ce secteur est déclaré d’utilité publique, et qu’il représente une source importante de revenus. »

Le projet minier Casaya agit comme un révélateur du double discours et des contradictions de la stratégie de l’État bolivien. D’un côté, la mise en avant de la « Pacha mama » (Mère Terre), la réaffirmation de l’histoire et de l’identité indigènes du pays, la volonté de promouvoir un développement alternatif, sinon une alternative au développement [1]. De l’autre, un pays dépendant de l’extractivisme, où les secteurs miniers et d’hydrocarbures (essentiellement le gaz) représentent, en moyenne, 11% du PIB et près de 40% des revenus du gouvernement, où le soja transgénique gagne chaque année du terrain, et où les conflits socio-environnementaux se multiplient.

L’exploitation minière est à plus de 60% aux mains d’entreprises privées – qui exploitent principalement le zinc, le plomb, le cuivre. Les coopératives (il y en aurait un peu plus de 1800) couvrent 30% de cette exploitation, et constituent l’une des principales sources d’emplois formels du pays. Le secteur public, à travers l’entreprise Comibol, représente le troisième opérateur. Mais les chiffres de cette répartition sont trompeurs, car une partie des mines de Comibol sont exploitées par des coopératives ou des entreprises privées sous contrat avec l’État.
Menace sur l’agriculture (...)

En janvier 2019, s’est constitué au sein du gouvernement de Chuquisaca un Secrétariat de la mine. Objectif ? Renforcer le potentiel minier du département et attirer les investisseurs. Mais le principal défi est ailleurs : dans la résistance des communautés locales, opposées à une activité qui semble parachutée. (...)

« Les responsables prétendent qu’il n’y aura aucun effet, mais ça n’existe pas un projet minier sans effet »

Mais les communautés refusent de s’habituer à la fatalité de la mine et de ses dégâts. (...)

De toute façon, le mal sera fait en amont, avertit Roman Villa, l’un des dirigeants communautaires de la région. « Déjà aujourd’hui, il y a moins de poisson à cause de la pollution provenant des eaux usées de Sucre. Avec la mine, il risque de ne plus y en avoir du tout. En plus, dès que les gens sauront que la production de légumes provient d’une zone minière, le prix et la consommation vont baisser. » Les habitants n’auront plus confiance en la qualité des légumes. Cela, les communautés le savent aussi par expérience. (...)

L’Autorité juridictionnelle administrative minière (Ajam), sensée réguler l’activité minière, a dès le départ pris le parti de Casaya, donnant des informations fausses et affirmant que le projet minier se mettrait en place, que les communautés s’y opposent ou non. (...)

Plus généralement, la stratégie économique de la Bolivie soulève des problèmes de dépendance multiple : envers quelques matières premières (le gaz, le zinc et l’or représentent près des deux tiers des exportations) aux prix fluctuants, sur lesquels il n’exerce aucun contrôle, et envers quelques pays (un tiers des exportations sont destinées au Brésil et à l’Argentine ; 21% des importations proviennent de la Chine).

Plutôt que de servir à l’industrialisation et à la diversification économique, le boom des matières premières a accentué le caractère extractiviste du pays. Et a piégé un peu plus la Bolivie dans une division internationale du travail où elle exporte des ressources naturelles et importe des biens manufacturés. Le secteur minier est d’autant plus affecté qu’il échappe largement à l’État. Ce dernier ne récupère qu’autour de 10 % des revenus générés par l’extraction minière, estimés entre 2,5 et 3,6 milliards de dollars annuellement.
Le cercle vicieux de l’extraction minière

Une telle situation provoque un cercle vicieux. L’extraction augmente pour palier la chute des prix sur le marché international, les normes environnementales sont assouplies, la consultation des communautés contournée, les hydrocarbures et l’activité minière décrétés d’utilité publique ou priorité nationale, et les conflits socio-environnementaux s’aggravent en conséquence. Cela encourage également la migration rurale, qui s’apparente plus, selon Roxana Liendo, à une ruralisation des villes, car les phénomènes de précarité, d’insécurité, de déficience des services publics se reproduisent en milieu urbain. Cela met aussi à mal l’environnement. (...)

Est-ce le prix à payer pour l’éradication de la pauvreté ? Définitivement non, pour Roxana Liendo : « Beaucoup de gens sont sortis de la pauvreté, mais c’est une sortie précaire car elle dépend des allocations. » Elle s’attend à des mesures impopulaires après les élections d’octobre 2019, et ce quel que soit le candidat élu, Evo Morales – qui se représente, malgré la victoire du « non » au référendum de 2016 – ou un autre [7]. Au vu de l’endettement et du déficit de la balance commerciale depuis 2015, il sera impossible de maintenir plus longtemps la fiction de cette stabilité.

(...)

L’espoir réside dans la mobilisation, constate Santiago Yupari : « C’est la première fois en 30 ans que j’ai vu une marche de 10 000 personnes pour s’opposer à un projet minier ! »