
Michal Raz, chercheuse en sociologie, retrace la façon dont la science a abordé la différence entre le masculin et le féminin au fil des siècles, jusqu’à l’arrêté du 15 novembre 2022 qui empêche, en principe, les interventions de conformations sexuées sur les enfants intersexes.
Autrice d’une thèse en sociologie à l’Ecole des hautes études en sciences sociales en 2019 sur la prise en charge médicale des enfants intersexes, Michal Raz revient sur la fabrication contemporaine de la binarité sexuelle et sur son impact dans les interventions médicales précoces subies par ces enfants sans leur consentement. (...)
La législation récente concernant les enfants intersexes va-t-elle dans le bon sens ?
Le contenu de l’article 30 de la nouvelle loi de bioéthique part d’une bonne intention pour modifier les pratiques mais reste dans un paradigme pathologisant : les variations intersexes sont des « maladies rares » qu’il faut « prendre en charge ». Les médecins ont été formés avec une approche normative des corps et, pour eux, l’existence des personnes intersexes ne remet pas en cause la binarité sexuelle. Elle est un postulat alors que c’est la conséquence d’un processus d’intervention sur le corps qui maintient l’illusion de cette binarité supposée. (...)
Cette notion de différence biologique incontestable entre les hommes et les femmes a-t-elle toujours existé ?
Difficile à dire. Avant la modernité européenne, la théorie des humeurs prédomine. (...)
durant cette période, la distinction physique ne relève pas forcément d’une binarité exclusive ancrée dans la biologie. La médecine n’exerce pas encore d’autorité en la matière et une grande hétérogénéité de positions émerge. (...)
le chirurgien Ambroise Paré décrit le cas d’une femme dont les organes masculins seraient « ressortis » par excès de chaleur et à la suite d’une chute brutale. On peut imaginer que c’est un cas d’intersexuation, appelée à l’époque « hermaphrodisme », terme considéré aujourd’hui comme stigmatisant. (...)
Comment cette dualité émerge-t-elle alors ? (...)
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– (Chatelaine-2015)
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(...) Un phénomène méconnu
Cette étrange condition porte un nom : intersexualité. Mais les médecins lui préfèrent celui, plus scientifique, de DSD pour disorders of sex development (« troubles du développement sexuel »). Le corps ne correspond ni à la définition type d’un homme ni à celle d’une femme. Cela peut se refléter sur le plan des organes génitaux (micropénis, clitoris hypertrophié, vagin à demi formé), des gonades (ovaires ou testicules manquants) ou des chromosomes (XX, XY et toute une panoplie de combinaisons). Parfois, l’ambiguïté n’est pas visible à la naissance et se manifeste à la puberté (absence de menstruations, problème de pilosité). Certains ne s’en rendent compte qu’une fois adultes, en découvrant leur infertilité.
Combien d’enfants naissent avec cette anatomie hors norme ? Les chiffres varient selon les critères et les experts. Les plus frileux parlent d’une naissance vivante sur 10 000. Les plus hardis, d’une sur 2 000. Certains avancent même le chiffre d’une sur 200, en tenant compte du large spectre des variations du développement sexuel, qui en comprend plus d’une centaine.
« Le génome compte 20 millions de petites variations par-ci par-là qui viennent influencer le développement. Rien ne permet de dire : voici précisément un homme et une femme », soutient la généticienne suisse Ariane Giacobino. Elle croit que si on dressait le caryotype de chaque être humain pour définir le seuil de perfection de féminité et de masculinité, peu de gens se trouveraient aux extrémités. « Il existe tout un éventail entre les deux. » (...)