
Les travaux qui traitent de la pauvreté ne s’intéressent pas vraiment aux enfants et ceux qui parlent des enfants délaissent la question de la pauvreté. Le point de vue de Vanessa Stettinger, sociologue à l’université de Lille 3.
Les travaux sur le thème des « enfants pauvres », se sont multipliés en France au début des années 1990, dans le sillage des États-Unis et du Royaume-Uni. Ils traitent d’abord du devenir de ces enfants. Mais en soulignant les conséquences de la pauvreté dans leur vie d’adulte, ils finissent par occulter leur vie d’enfant au quotidien. A cela s’ajoute une inclinaison au misérabilisme vers laquelle portent ces recherches. On ne parle pas beaucoup d’enfants, mais surtout de pauvres. L’accent porté sur la transmission des handicaps sociaux oriente les travaux en direction des difficultés rencontrées dans l’enfance d’une part (maltraitance, placement, difficultés familiales…) puis dans la jeunesse (délinquance, échec scolaires) et à l’âge adulte (chômage, recours à l’aide sociale, problèmes de santé…), puis les relie les unes aux autres d’autre part. On parle de l’enfant à partir de ses carences, de ses handicaps et de ses déficits. Sans nier les difficultés sociales associées à la pauvreté dans l’enfance, une telle approche laisse dans l’ombre d’autres dimensions toutes aussi importantes de l’expérience de ces enfants qui sont davantage explorées dans d’autres secteurs de la sociologie. Bref, l’enfant qui vit dans la pauvreté a aussi une vie d’enfant.
L’« enfant riche » de la sociologie de l’enfance
Le problème, c’est que les travaux réunis sous la bannière d’une « sociologie de l’enfance », qui traitent eux de la vie des enfants, ne se préoccupent pas vraiment de l’enfant vivant dans la pauvreté. Ici on parle d’enfants, mais pas beaucoup de pauvres… (...)
La lecture des travaux sur les enfants vivant dans la pauvreté et ceux du courant de la sociologie de l’enfance nous permettent de dresser deux constats. Le premier concerne le peu d’intérêt en France pour les « enfants pauvres », à la différence des Etats-Unis ou de quelques pays de l’Amérique du Sud. Ils ne sont n’est pas considérés comme un problème social important au point de mobiliser les communautés politiques et scientifiques. Le deuxième tient à la façon dont les quelques travaux existants appréhendent ces enfants. L’accent mis sur les conséquences de la pauvreté pour leur avenir laisse encore largement inexplorées certaines dimensions du vécu des enfants, comme leur rapport au jeu, au loisir et au sport, à la lecture, aux nouvelles technologies et à la télévision, à l’argent et aux consommations, aux relations familiales et aux interactions entre pairs, sans oublier leur rapport à l’alimentation, au corps et à la santé.
Changer de regard
Il est temps de changer de regard sur l’enfance pauvre. (...)