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Être infirmière en centre de rétention
Par Latifa Oulkhouir @latifaolkhr
Article mis en ligne le 15 mars 2016
dernière modification le 10 mars 2016

Conditions difficiles, comportements choquants, pression de la police… Voici le témoignage d’une infirmière en centre de rétention.

« Afin d’éviter d’avoir des propos et attitudes déplacées dans le cadre de mon emploi, je préfère écrire… Je m’appelle Marie*, je suis infirmière diplômée d’État depuis 2013. Cela fait donc deux ans et demi que j’exerce mon métier de la façon la plus “juste” possible. Je suis âgée de 25 ans. Aujourd’hui, nous sommes le 12 février 2016 et j’exerce mon métier dans un Centre de Rétention Administrative ou sont placés des individus “sans-papiers”, “sans titres de séjours”, “sans autorisation de séjourner sur notre territoire français”.

J’ai vu énormément de choses choquantes au cours de ma petite carrière, nombre de faits insignifiants, de personnels qui traitent les individus comme “des chiffres”, “des numéros de dossiers”, “des individus vagabonds sans âmes”.

Aujourd’hui en écrivant ces mots, je suis sombre, déçue, triste d’appartenir à cette communauté de fonctionnaires français. J’ai assisté à un évènement déplorable, inqualifiable. Comment est-ce possible de traiter des individus de la sorte ?

Mme M., âgée de 31 ans, de nationalité Cap-Verdienne est sur notre territoire depuis 2009, soit six ans. Elle parle le français de façon remarquable, vit au moyen de petits boulots (femme de ménage) pour lesquels elle touche environ 600 €/mois. Son mari est détenteur d’une carte de séjour portugaise, carte bientôt périmée. Il travaille lui aussi, dans le bâtiment principalement. Elle vit dans une commune agréable. Ils sont heureux ensemble et leur souhait le plus cher est de faire un jour revenir leur fille âgée de dix ans en France. Cette dernière est restée au Cap-Vert avec ses deux grands-mères.

Les individus placés en Centre de rétention le sont pour une durée maximale de 45 jours, mais peuvent être reconduits à la frontière ou libérés avant cette date fatidique de 45 jours. Durant cette période, deux entrevues avec le Juge des libertés et de la détention sont organisées. L’une dans les 5 jours suivant l’admission au centre, puis vingt jours après la première entrevue. Mme M. a été placée au CRA le 29 décembre 2015. Sa rétention devait prendre fin le 12 février 2016 à 16h55, soit quarante-cinq jours après sa mise en rétention.

La rétention de Mme M. a été difficile, ponctuée de périodes d’espoir et d’autres plus tristes, anxiogènes avec la crainte légitime d’être renvoyée dans son pays. Ses jours de rétention ont oscillé entre sa chambre sombre, sans ouverture au monde ni à la lumière du jour et la salle de détente composée d’une table, quelques chaises, une télévision allumée continuellement pour meubler le temps… Nombreux ont été les passages à l’infirmerie pour panser ses détresses morales. Quelques rares nuits complètes également. Ses repas servis dans des barquettes en plastique pendant les quarante-cinq jours de sa rétention n’ont pas tous été consommés, en dépit de quoi Mme M. a perdu cinq kilos. Elle était déjà maigre à son arrivée. Seules les activités proposées par d’aimables bénévoles ont pu égayer ses journées. Afin de se défendre de la meilleure façon qu’il soit, Mme M. a demandé les services d’un avocat privé (on propose aux retenus les services d’un avocat commis d’office), afin d’obtenir les meilleures possibilités.

Elle a, durant sa rétention, fait une demande d’asile auprès de l’Assfam (Association Service Social Familial Migrant) et n’a jamais adopté de comportements déviants, provocateurs, insolents. Ne s’est jamais fait remarquer d’aucune manière.

Au terme de quarante-quatre jours de rétention, elle est venue me voir à l’infirmerie, radieuse d’être au lendemain puisqu’aucun vol n’était affiché durant ces jours écoulés. Elle venait de raccrocher le téléphone, elle communiquait avec sa mère, cette dernière étant très inquiète sur le sort de sa fille, qui aurait pu après plus de dix ans retourner sur les îles de l’océan Atlantique. (...)

Le désir de son lit douillet et de son poisson cuisiné par son mari est bien loin à cette heure. J’entends seulement quelques phrases lui étant adressées avec virulence “carte vitale… On sait très bien que vous n’avez rien…“. Dos courbé, tête baissée devant ces individus représentant la Nation Française. Qu’elle est belle notre France, j’ai honte ! Où est la délinquante, la déviante dans le personne dressée devant vous ? Cette femme souhaitait juste se faire la plus discrète possible et aspirait à une vie meilleure, comme nous tous. Ne sommes-nous pas tous en quête du bonheur, et ne souhaitons-nous pas le meilleur pour nos enfants ? Juste un bref rappel : IDH (Indice de développement humain) de la France : 0,88, IDH du Cap Vert : 0,57. Que rajouter de plus ? ».

Ce mail je l’ai reçu d’une amie alors que je passais un vendredi comme un autre, à me demander quelles futilités allaient bien remplir mon week-end. Des images de migrants on en voit partout, mais ce quotidien cruel, cette valse des reconductions pour le chiffre on ne la connait pas ou on l’oublie. Pire, on s’y fait. Marie, elle, elle ne voulait pas s’y faire, ce texte elle l’a aussi envoyé à son supérieur parce que parfois, certaines injustices nous poussent à mettre notre petite situation en danger. Je me suis dit et moi à sa place ? Qu’aurais-je fait ? Et vous ? Marie elle, l’a fait et grâce à elle Mme M. n’a finalement pas pris ce vol.