
D’abord de nature conservatrice, la fronde contre les projets sociétaux du gouvernement s’est vite transformée en mouvement réactionnaire. Ces trois derniers dimanche ont vu successivement se dérouler des manifestations qui, bien qu’étant sans commune mesure avec les manifestations contre le mariage de personnes du même sexe de l’an dernier, étaient d’ampleur significative : contre l’interruption volontaire de grossesse, contre le Président de la République, et enfin contre la future loi famille. D’apparence très diverses, ces manifestations étaient toutes d’essence réactionnaire, et si certains ont arpenté la rue trois dimanches consécutifs, c’est bien qu’elles avaient des points communs.
(...) Les mouvements qui émergent depuis plus d’un an ont pour caractéristiques d’être contre-révolutionnaires, de contester la légitimité des élus et des institutions, et de défendre un ordre moral centré sur des stéréotypes patriarcaux. Le point commun est donc bien le rejet de la République, de ses principes et de ses valeurs.
On pouvait la croire disparue, ou, plus lucidement, réduite au silence. La droite factieuse, celle des ligues, de la révolution nationale et du nationalisme intégral de Maurras est de retour sur la scène publique et dans la rue. (...)
Les moyens de mobilisation sont des plus classiques et consistent en un détournement, voire un retournement, des combats de toujours de leurs ennemis : contre la dictature, pour la liberté, pour « la vie », contre la christianophobie ou l’islamophobie, ce qui est toujours plus rassembleur que de se dire contre l’État républicain, contre l’égalité, contre le droit à disposer de son corps, contre les droits des femmes, ou encore contre la laïcité.
Mais les slogans entendus au sein des manifestations ont fait tomber le voile : le Président de la République serait illégitime, les juifs devraient quitter leur pays, les francs-maçons seraient aux manettes de l’État, les homosexuels devraient être pourchassés pour protéger nos enfants.
Il faut se poser la question de savoir pourquoi les outrances, les mensonges et les rumeurs parviennent ainsi à faire perdurer et se renouveler une mobilisation qui nous ramène de plus en plus dans les années 30.
Les nouvelles technologies et les réseaux sociaux jouent une part active dans la mobilisation et les jonctions qui s’opèrent entre groupes d’horizons éloignés : les contre-vérités « buzzent », la désinformation se propage plus vite que l’information, qui est discréditée, et la superficialité des analyses transforment des opinions en vérités.
La jonction entre la bourgeoisie (Manif pour tous) et les classes populaires et moyennes (Bonnets rouges, dieudonnistes, etc.) est en train de s’effectuer, de même que celle entre les intégristes catholiques et les fondamentalistes musulmans.
Les passerelles qui ont permis de parvenir à cet amalgame sont peu nombreuses. (...)
intégristes (de tous bords d’ailleurs, et il convient ici de rappeler les offensives des créationnistes protestants et musulmans) sont pour la stagnation de l’espèce humaine dans une société figée idéalisée et mythique où règne la domination masculine. (...)
Avec un gouvernement qui s’est fait élire par la gauche, mais qui pratique une politique économique dont la droite a rêvé, les questions de société sont devenues le principal enjeu des joutes politiques. Mais il y a aussi un contexte européen, avec une montée de l’influence des cléricalismes et des courants réactionnaires en Europe de l’Est et du Sud. Il y a enfin une crise identitaire focalisée sur l’appartenance religieuse et un néo-racisme différentialiste unis dans le rejet de l’universalisme.
Ce ne sont donc pas des rassemblements pour défendre l’IVG, la PMA pour les couples de lesbiennes ou contre l’homophobie, l’antisémitisme qui, s’ils sont salutaires, sont les plus impérieux. Il faut aujourd’hui et maintenant que les républicains prennent conscience que la République, même si elle n’est pas menacée, est en proie à une offensive politique et qu’il est temps, ensemble et sans pour autant nier les différences ou constituer un Front, de lancer un signal fort d’affirmation des principes et valeurs qui fondent notre société et clamer que les comportement factieux sont un venin pour la cohésion sociale qui n’ont pas leur place dans la République !