
De la Guyane, agitée par un grand mouvement social, à la Nouvelle-Calédonie, de la Guadeloupe à La Réunion, comment expliquer que « les racines du mal soient les mêmes » : chômage de masse pour les jeunes, vie chère avec des prix plus élevés qu’en métropole, manque d’infrastructures... Pour Elie Domota, ancien leader du LKP, collectif guadeloupéen contre l’exploitation outrancière, à l’origine d’une grève générale de 44 jours en 2009, la réponse est limpide : mépris de l’État français pour l’outre-mer et maintien d’une domination de type colonial, malgré les engagements pris et la loi pour l’égalité réelle. « Il y aura encore des éruptions » dans ces territoires, prévient-il.
(...) La seule chose que nous constatons c’est que l’État français ne respecte jamais ses engagements. Je vous donne un exemple très simple : il était prévu que 40 millions d’euros soient mis sur la table pour mettre en œuvre un plan d’urgence pour la formation et l’insertion des jeunes en Guadeloupe. Des engagements écrits avaient été pris. Le gouvernement Sarkozy ne les a pas respectés. Le gouvernement Hollande non plus. Il était aussi prévu que soit pris en Conseil d’État un décret encadrant les produits de première nécessité pour permettre aux Guadeloupéens les plus démunis d’accéder à un certain niveau de vie. Le gouvernement Sarkozy ne l’a jamais appliqué, le gouvernement Hollande non plus [2] L’objectif est de maintenir les gens dans l’assistanat, dans la mendicité. (...)
Les racines du mal sont les mêmes dans toute l’outre-mer. Nous sommes à plusieurs milliers de kilomètres de distance les uns des autres et, pourtant, les indicateurs socio-économiques sont similaires : chômage de masse chez les jeunes, retard de développement… Le point commun, c’est la domination coloniale. L’exemple de la Guyane est criant : au cœur de Kourou, là où habitent les blancs – un endroit que les Guyanais appellent gentiment Pretoria (la capitale administrative de l’Afrique du Sud, ndlr) – il ne manque de rien. Il n’y a pas de problème de bus, d’hôpital ou d’école. À 20 kilomètres de là, c’est un autre monde où il n’y a ni électricité ni eau. Ce n’est pourtant pas une fatalité. (...)
l’État français n’a pas respecté ses engagements. Dans la colonie, on ne respecte pas ses engagements et quand les gens se soulèvent on leur tire dessus. (...)
en fin de compte nous ne sommes pas si égaux que ça. On se fout de nous ! Il y a un mois et demi, mon organisation a écrit à l’ensemble des parlementaires, aux services de l’État, au ministre de l’outre-mer, au ministre de la santé, pour leur dire de veiller à ce qu’on puisse insérer des clauses d’insertion sociale dans les appels d’offre pour les marchés publics. Cela doit permettre d’embaucher des Guadeloupéens sur les chantiers. Pas de réponse. Lorsque le chantier du CHU (prévu près de Pointe-à-Pitre, ndlr) va débuter, ce sont des Portugais, des Espagnols, des Italiens, des Français qui viendront travailler. Les Guadeloupéens seront là en train de fumer de l’herbe et de boire de l’alcool. Vous croyez que c’est sérieux ? (...)
au lieu d’utiliser les terres pour mettre en place une vraie politique agricole basée sur la diversification et la satisfaction des besoins alimentaires de la Guadeloupe, on les bétonne et on construit un port en eau profonde pour faire venir plus de marchandises par bateaux cargo. Pour la France, nous sommes une colonie de consommation. Aujourd’hui, que produit le secteur agricole en Guadeloupe ? De la canne à sucre et de la banane, dont 90% de la production part en Europe. Dans un pays normal, on produit pour nourrir les habitants du pays. (...)
Décolonisation, indépendance nationale et pleine souveraineté. C’est la seule voix possible pour les populations colonisées. Jamais il n’y aura d’égalité, de liberté, de fraternité dans le cadre de la domination coloniale. Le principe même de cette domination, c’est de considérer l’autre comme un être inférieur. Sa langue n’est pas une langue, sa musique n’est pas musique, sa culture n’est pas culture et on lui impose tout. Voilà la réalité. Il y aura donc encore des éruptions, comme aujourd’hui en Guyane, comme il y a un an et demi à Mayotte, comme régulièrement en Nouvelle Calédonie... (...)
À un moment, il faudra pourtant regarder la réalité en face : nous sommes Français mais 60% de nos jeunes sont au chômage. En 1848, la République a aboli l’esclavage, qui avait été rétabli par Napoléon, tout comme la déchéance de nationalité... En même temps, la République a indemnisé les propriétaires d’esclaves. Aux esclavagistes, on a accordé une rente sur 20 ans, des usines et des terres de façon à ce qu’ils puissent garder leur domination politique, économique et sociale sur la population. Et que donne la République aux anciens esclaves ? Un bulletin de vote.