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« Il y a une fin dans le travail salarié, mais le travail de subsistance ne s’arrête jamais »
Article mis en ligne le 8 juin 2021
dernière modification le 7 juin 2021

Que se passe-t-il quand les usines s’en vont ? Que deviennent les villes, les gens, les liens ? Pour répondre à ces questions, les six membres du collectif Rosa Bonheur ont arpenté pendant quatre ans un ancien bastion de l’industrie textile : Roubaix. Dans leur livre La Ville vue d’en bas, ces chercheurs en sciences sociales racontent la précarité, la débrouille, la nostalgie et les solidarités des anciens ouvriers ; mais aussi la lutte des classes pour l’espace urbain.

Hakim est mécanicien de rue. Il fait travailler les jeunes du quartier et dépanne les voisins. Sofian, la vingtaine, réalise l’autoconstruction d’un immeuble. Kadouja, fraîchement retraitée, mais depuis longtemps dans la précarité, ne se ménage pas. Elle est de tous les collectifs, de toutes les associations. Didier vend les cages aux oiseaux qu’il fabrique, « à deux, trois euros pièce », aux puces du quartier. Tous vivent à Roubaix.

Les tours et détours de leurs vies sont racontés dans La Ville vue d’en bas. Travail et production de l’espace populaire, passionnant ouvrage publié en 2019 aux Éditions Amsterdam. Les auteurs, un collectif de chercheurs lillois baptisé Rosa Bonheur, y relatent quatre années d’enquête ethnographique : des observations et des entretiens menés au gré des rencontres dans cette ville du Nord, cas presque idéal-type, tant elle a subi la désindustrialisation de plein fouet, passant de fleuron de l’industrie textile à commune parmi les plus pauvres de France.

Loin de donner dans l’enquête surplombante, le collectif s’est mis à hauteur d’habitants et a choisi de raconter les espaces sociaux et géographiques en mettant l’accent sur la production, les savoir faire, l’entraide. (...)

Anne Bory et José-Angel Calderón sont sociologues. La première mène de front deux chantiers : elle s’intéresse autant à la philanthropie des élites économiques qu’aux conséquences de la désindustrialisation sur les classes populaires. Le second étudie les transformations de l’emploi et du travail. Visite guidée. (...)

Vous défendez le concept de « centralité populaire » pour définir des quartiers souvent désignés comme périphériques qui seraient au contraire centraux « car ils cumulent des fonctions d’accès au logement et d’ancrage résidentiel, d’activités économiques et de travail »…

J.-A. C. : « La centralité populaire est un outil. Les gens s’entraident pour acheter, louer ou rénover des logements par exemple. C’est nécessaire pour ces populations qui sont souvent discriminées sur ces questions, et c’est encore plus vrai pour les personnes racisées. Les habitants disputent l’espace au capital et aux processus de gentrification, ils luttent contre des administrateurs qui veulent interdire tel marché aux puces ou imposer les formes et l’organisation d’un nouveau potager collectif, tout en supprimant des jardins ouvriers. »

A. B. : « Il y a une conflictualité dans la gestion de l’espace. C’est bien pour ça qu’il y a des formes de contrôle social sur la rénovation des logements ou sur l’activité de mécanique à ciel ouvert. De nouvelles normes ou des interdictions sont prises car ce n’est pas conforme aux attentes esthétiques des classes moyennes supérieures. Le fait même que les populations les plus populaires utilisent l’espace rend celui-ci moins attractif à leurs yeux. »