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Mediapart
Indemnisation du chômage : une nouvelle discussion, mais pas d’amélioration en vue
#chomage
Article mis en ligne le 3 août 2023
dernière modification le 2 août 2023

La première ministre a envoyé mardi 1er août aux syndicats et au patronat le « document de cadrage » orientant les discussions qu’ils doivent mener jusqu’en novembre autour des règles de l’assurance-chômage. Les réformes resteront en place, et le gouvernement ira même piocher dans la caisse.

Une lettre pour lancer des négociations, mais dans de telles conditions que tout porte à croire que les discussions iront dans le mur. Et que le gouvernement pourra imposer – un peu plus encore – ses choix en termes d’indemnisation du chômage. Mardi à la mi-journée, les syndicats et les organisations patronales ont reçu la lettre de cadrage qui lance officiellement le dialogue pour définir les règles de l’assurance-chômage qui prévaudront à partir du 1er janvier 2024. Cette lettre leur avait été promise fin juillet par la première ministre Élisabeth Borne quand elle les avait reçus à Matignon.

Les partenaires sociaux, qui codirigent l’Unédic, le gestionnaire de l’assurance-chômage, sont censés tomber d’accord sur ces nouvelles règles, comme ils le font depuis soixante-cinq ans. Mais depuis 2018, et l’une des premières réformes portées par Emmanuel Macron, le gouvernement leur précise avant tout échange ce qu’il attend d’eux dans le « document de cadrage », une liste de courses très précise qui fait à peine mine de leur laisser une marge de manœuvre : si les syndicats et le patronat ne parviennent pas à se mettre d’accord, le gouvernement reprend la main pour appliquer unilatéralement ses mesures. (...)

Fin 2022, l’État s’est carrément passé de l’étape de discussion, en décidant par décret de passer par-dessus les gestionnaires de l’Unédic pour imposer de nouvelles règles, et une deuxième réforme rabotant sérieusement les droits à partir du 1er février 2023, et aboutissant à une réduction de 25 % la durée d’indemnisation pour les chômeurs et les chômeuses.

Il est désormais urgent d’enclencher une nouvelle étape, puisque la loi qui actait la dernière réforme indiquait que l’État ne pouvait pas décider des paramètres de l’assurance-chômage au-delà du dernier jour de l’année 2023. Pour autant, il est illusoire de croire que les nouvelles règles changeront du tout au tout. Et c’est justement ce que la lettre de cadrage de mardi vient réaffirmer. (...)

Il sera ainsi interdit de modifier le calcul de l’allocation-chômage, cœur de la réforme de 2019, toujours contesté par les syndicats. Il faudra veiller, prévient la lettre de cadrage, à ce que « le mode de calcul du salaire journalier de référence ne crée pas d’incitation plus favorable que le régime actuel » à multiplier les contrats de travail de courte durée.

L’interdiction vaut aussi pour toute tentation de faire disparaître le caractère « contracyclique » de l’indemnisation du chômage, inauguré en février. Ce concept prévoit, comme le résumait il y a un an le ministre du travail Olivier Dussopt, que « quand ça va bien, on durcit les règles »alors que « quand ça va mal, on les assouplit ». (...)

Léger détail, le gouvernement estime que « ça va bien » dès que le taux de chômage passe sous les 9 % – il flirte aujourd’hui avec les 7 % – ou bien qu’il augmente de moins de 0,8 point pendant un trimestre. (...)

le gouvernement n’hésitera pas à piocher davantage dans les ressources du régime. Ressources qui, justement, s’améliorent grandement, comme nous l’avions détaillé : rien que pour l’année 2025, les économies dues aux deux réformes de l’assurance-chômage dépasseront les 5 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter plus de 3 milliards d’économies en raison de la baisse du nombre d’inscrit·es à Pôle emploi, et donc du nombre de personnes à indemniser. Cela devrait aboutir à des résultats records pour l’organisme en 2023, 2024 et 2025.

Pour le gouvernement, la tentation était trop forte. Au lieu d’accélérer le désendettement de l’Unédic, voire de constituer des réserves pour une période moins favorable, l’exécutif indique dans son document de cadrage que, d’ici 2026, il prévoit de ponctionner entre 11,5 et 12,9 milliards d’euros dans les comptes de l’Unédic, soit « entre 12 % et 13 % de ses recettes ». Le tout sans que les cotisations qui financent le système soient augmentées. (...)

Cet afflux inespéré permettra au gouvernement de financer France Travail, l’institution qui va remplacer Pôle emploi et qui a vocation à devenir l’unique « porte d’entrée » des privé·es d’emploi vers le suivi et l’accompagnement. L’ensemble des bénéficiaires du RSA, notamment, devront s’inscrire, alors que ce n’est pas obligatoire pour le moment. Et rien ne dit que l’État continuera à porter le tiers des coûts de la structure, comme il le fait aujourd’hui avec Pôle emploi.

L’argent devrait aussi contribuer au financement des aides massives à l’apprentissage, dont l’efficacité économique est plus qu’incertaine, mais qui contribuent fortement à la baisse du taux de chômage.
Les seniors au chômage menacés

Pour finir de fâcher les syndicats, la lettre de cadrage leur demande aussi de « tirer les conséquences de l’allongement de la durée d’activité sur les règles d’indemnisation des seniors et favoriser leur retour en emploi ». La formulation est peut-être obscure, mais le sous-texte est clair (...)

le gouvernement aimerait supprimer l’avantage réservé aux salarié·es de plus de 53 ans, qui bénéficient d’une durée d’indemnisation plus longue que les autres, pouvant aller jusqu’à 22,5 mois, contre 18 mois pour les plus jeunes.

Cette demande à elle seule est en mesure de faire capoter les discussions, puisque jamais les syndicats ne l’accepteront, alors qu’un tiers des chômeurs de longue durée sont des seniors, et d’autant plus que la réforme des retraites vient de faire reculer de 62 à 64 ans l’âge auquel on a le droit de prendre sa retraite.

Pour les représentant·es des salarié·es, c’est aux entreprises de faire un effort pour garder plus longtemps les seniors, et pas à ces derniers de servir de variable d’ajustement financière une fois qu’ils sont poussés dehors. Or le gouvernement ne souhaite rien imposer explicitement aux entreprises.

Quelques heures après l’envoi de la lettre de cadrage, un communiqué la CGT n’a pas fait mystère de sa position dans les négociations à venir. (...)

il « nous demande de continuer à saccager les droits de la portion de plus en plus réduite d’allocataires indemnisé·es pour mieux fliquer les allocataires du RSA » dans le cadre de France Travail, estime la CGT. Elle prévient qu’elle « n’entend pas s’inscrire dans de tels objectifs » et prévient qu’elle espère convaincre « l’ensemble des organisations composant l’intersyndicale » de la suivre dans son opposition aux demandes d’Élisabeth Borne. Du point de vue syndical, la fin 2023 ne sera sans doute pas plus apaisée que le début de l’année.