EDIT mardi 16h : Ivan Golounov est libre ! Les charges contre lui ont été levées. Le Ministère de l’Intérieur a reculé.
La mobilisation ne s’est pas faite attendre - et obtiendra peut-être gain de cause. Dès l’annonce vendredi de l’arrestation la veille du journaliste d’investigation russe de 36 ans Ivan Golounov, accusé de détention et trafic de drogue, journalistes et anonymes se sont retrouvés le soir-même devant le siège du Ministère de l’Intérieur pour une action de soutien spontanée, où chacun, à tour de rôle, passait au "piquet solitaire" avec un message de soutien.
La solidarité sans précédent affichée par les journalistes russes et les Russes du quotidien sur les réseaux sociaux, a sans doute permis une première - maigre mais significative - victoire : Goulounov, après 48 heures d’éreintante garde à vue, a pu rentrer chez lui, assigné à résidence et non pas maintenu en détention.
Fausses photos
L’accusation ne tient selon toute vraisemblance pas la route, dénoncée de toutes parts comme un vulgaire coup monté. Goulounov, brillant reporter spécialisé dans les affaires de corruption pour le média indépendant Meduza, ne boit pas, ne fume pas. Et voilà qu’il serait devenu un Walter White (Breaking Bad) en puissance ? Vraisemblablement frappé par les policiers lors de son arrestation puis en garde à vue, il a cerifié lors de sa déposition n’avoir jamais vu de sa vie le sac à dos contenant de la drogue étrangement retrouvé sur lui lors de sa fouille. (...)
Alors que, fait politique assez nouveau, d’autres mobilisations ébranlent actuellement la Fédération, l’émoi suscité par cette arrestation brutale a été immense. De très nombreux journalistes russes, activistes ou personnalités de la culture se sont immédiatement positionnées en solidarité avec Golounov.
Y compris, fait cette-fois rarissime, une célèbre éditorialiste pro-Kremlin de la chaîne d’état NTV, qui a fait part de ses "inquiétudes". Même son de cloche du côté de Margarita Simonyan, patronne de Russia Today dont la version française a bien parlé de l’affaire, et diffusé via son ageance Ruptly des images de la mobilisation de ce week-end.
Lundi matin, trois des plus respectés journaux russes, Kommersant, Vedomosti et RBC, se sont unis dans une Une de soutien au reporter ("Je/Nous sommes Ivan Golounov"). Du jamais vu dans l’histoire de la presse russe. (...)
Ces intrigues sont tout sauf nouvelles en Russie et ex-URSS. Mais cette affaire témoigne néanmoins d’un certain climat actuel dans le pays. Elle est tristement similaire à bien d’autres cas récents, où diverses personnalités - activistes mais aussi politiques, notable locaux, businessmen ou même parfois membres des autoriés - ont soudainement été arrêtés puis mis en détention, dans l’attente de procès qui ne débouchent en Russie que sur... 0,5% d’acquittements. (...)
Ce climat où personne n’est à l’abri, ces outrepassements, ces coudées franches laissées aux siloviki, ont été permis par ce système construit par Vladimir Poutine, basé sur des cercles restreints, faits d’hommes de confiance, souvent issus du militaire, des services secrets ou oligarques des matières premières. La fameuse verticale du pouvoir russe, où tout (parfois rien) est censé se décider dans les couloirs du Kremlin - en plus du pivot de Poutine vers les affaires extérieures depuis 2014 -, a laissé un vide dans la gestion des affaires domestiques. Un vide dans lequel se sont tout de suite engouffrées les forces de sécurité et leurs différents clans.
S’il ne s’agit pas de minimiser la responsabilité originelle du pouvoir russe, il semblerait que la bête soit devenue trop puissante, et que l’administration présidentielle soit quelque peu dépassée par les évènements. Des commentateurs et experts estiment qu’en réalité, Poutine a beaucoup moins de pouvoir en interne qu’on ne veut bien lui prêter, qu’il ne contrôle plus totalement les évènements et le rythme des purges. (...)
C’est en tout cas la première fois dans l’histoire récente que les autoriés s’en prennent à un journaliste de ce calibre, d’où la forte résistance qui s’est, de manière surprenante, immédiatement mise en place. Cela s’explique par le fait qu’encore une fois, le couperet peut tomber sur "n’importe qui", alertent même des voix proches de la bureaucratie officielle.
Cette affaire sera-t-elle, donc, celle qui pousse le Kremlin - s’il le peut - à calmer un peu les ardeurs de ses cerbères ? Plusieurs signes le suggèrent, même si le sommet de l’Etat russe se retrouve dans une situation complexe : laisser une affaire gênante suivre son cours, ou sanctionner les autorités impliquées et donc, quelque part, désavouer son système ? (...)